Objet : Réponse à la consultation,
(1) Projet d’arrêté fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2014-2015.
(2) Projet d’arrêté fixant la liste des départements dans lesquels peuvent être délimitées les unités d’action prévues par l’arrêté fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus).
Association Houmbaba « L’esprit de la forêt », et Jean-Jacques Blanchon, Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme.
Des arrêtés absurdes qui prétendent réguler les « loups français », pourtant les solutions existent !
La réponse apportée par le gouvernement aux conflits engendrés par certains loups, à certains troupeaux et en certains lieux, est identique à celle des gouvernements qui l’ont précédé depuis 20 ans : les résultats montrent qu’elle est inadaptée et inefficace. C’est-à-dire qu’elle n’est pas en mesure de réduire les conflits récurrents avec l’élevage. Alors que la population de loups, désormais viable, colonise les régions de plaine.
Jamais le fait d’abattre des loups au hasard, de loin et au canon rayé, en dehors des situations d’attaque et à posteriori, n’a été ou ne sera en mesure « de prévenir les dommages aux troupeaux » contrairement aux allégations mentionnées. C’est la neutralisation du « loup dans la bergerie » qui est efficace, responsable, acceptable et conforme au statut juridique de l’espèce, et non pas de « détruire » l’espèce loup au hasard des lieux et des situations comme les arrêtés proposent de le faire.
Une politique inefficace, des arrêtés pour le spectacle
La justification à priori de la « destruction » d’un quota de loups, évoque une sorte d’injonction « sacrificielle » pour en détruire trente-six en 2014-2015 « sans procès ni sommation », au hasard, de loin et n’importe où ? Quand 12 millions d’euros/an sont dépensés pour les protéger ? Le projet d’arrêtés piétine le statut juridique de l’espèce, quand aucun des chiffres avancés n’est valable parce que non vérifiable.
Alors que c’est seulement une fois que toutes les méthodes de prévention, de protection des troupeaux et de contrôle des loups responsables de dommages auront été expérimentées et utilisées que la dissuasion puis la neutralisation de spécimens de loups, par dérogation, s’avérerait utile et efficace, en s’en prenant à eux et à eux seuls, en utilisant les techniques connues et autorisées pour le faire. Ce qui aujourd’hui n’a jamais été fait. Pourquoi ? Et qui attaque justement ? Est-ce un ou plusieurs individus ? Des jeunes ou des dominants ? Ou bien un « groupe » -pas encore une meute- ou un individu isolé ? En dispersion, un vieux solitaire ou une meute, et reproductrice ou non ?
Ce sont bien les questions essentielles qui nous sont posées. Dommage pour les éleveurs, elles sont sans réponse. Car ce n’est pas avec l’espèce loup en soi que l’on a des problèmes. Pas plus que l’on ne tire sur une espèce en soi comme le prévoit ces arrêtés, ce qui est absurde en effet. On tire sur l’animal qui attaque et lui seul, d’abord pour le dissuader de le faire et lui signifier qu’il prend beaucoup de risques s’il persiste à le faire. Et on le capture pour savoir qui c’est, lui et/ou son « groupe » ou sa meute, et savoir pourquoi il attaque. Et s’il revient ? Alors oui, s’il revient attaquer, cet animal est bien le spécimen responsable des dommages. Il est alors possible de le suivre, d’agir sur lui et de le neutraliser. Troupeau par troupeau, estive par estive, il devient possible d’intervenir aux côtés des éleveurs pour réduire fortement les conflits et rendre la situation supportable pour la profession la plus exposée. Et permettre enfin de rendre compte du rôle et de l’utilité de sa présence dans nos forêts comme dans nos têtes.
Enfin il est étonnant que l’on ne dispose pas d’un « reporting » annuel fiable et transparent sur leurs effectifs, leur abondance, leur distribution, leur statut, leur reproduction, leur mortalité et encore moins sur leur comportement. La science est muette car elle n’est même pas convoquée pour répondre à toutes ces questions, et elle seule a cette légitimité, pour enfin restaurer une souveraineté défaillante, mieux protéger les éleveurs et éclairer la société.
Non, la France n’est pas au niveau des standards scientifiques sur le dossier loup
Le prétexte d’une pseudo « gestion différenciée par unité d’action » est affiché avec le même discours que celui des grands pays en pointe sur le suivi de leur population de loups –et qui savent eux, contrôler après dissuasion, identification, suivi et sommations, par des moyens intrusifs ou létaux si nécessaire, les individus responsables d’attaques réitérées sur les cheptels- mais sans que notre pays disposent des outils et des techniques nécessaires qui nous permettraient de le faire.
Ainsi la « gestion différenciée » évoquée pour justifier la destruction des loups, devrait être une succession d’étapes permettant de rendre compte de la situation précise de la confrontation -dès ses prémices et avant même qu’elle ne survienne- entre l’éleveur, le berger et son troupeau, et le prédateur. L’on doit savoir qui fait quoi et qu’est-ce que l’on fait avec lui, cet autre, à cet endroit et à cet instant. Pas lui le loup mais cet « individu loup-ci » ou ce « loup-là » ou « ces loups-là ». Il s’agit bien de générer par nos interactions de plus en plus fréquentes une population de loups avec des pratiques comportementales acceptables par la société. Et l’on ne peut rendre acceptable un grand prédateur que si l’on est capable de rendre supportable les problèmes qu’il crée.
Des solutions existent : revoir la gradation du dispositif de protection et neutraliser les loups responsables des conflits récurrents
C’est d’une technique permettant de se confronter à ces situations d’attaques et de résoudre les conflits comme ils se posent à nous, dont les éleveurs et la société ont besoin. Et c’est aussi une question de souveraineté. Car aucune cohabitation envisageable et viable avec un grand carnivore n’est possible sans ce pré requis : la confiance des éleveurs sur la capacité des autorités à les protéger et à contrôler les « loups à problèmes[1] ». Or ce n’est pas du tout ce qui est proposé dans les deux arrêtés. Après les dispositifs de protection des troupeaux et les tirs d’effarouchement, il ne se passe plus rien. Et c’est bien la gradation du dispositif de prévention et de protection aujourd’hui défaillante et inadaptée qui est à revoir.
La réponse et l’effort devraient porter sur l’acquisition d’un « corpus technique à la française » de détection, de prévention, de protection des troupeaux et de contrôle des loups responsables des dommages sur les troupeaux. Les techniques existent et sont connues depuis 2006, utilisables depuis 2009 en France, mais elles n’ont jamais été mises en œuvre.
Là où elles sont utilisées depuis 20 ans, ces techniques aboutissent à réduire les taux de prédation sur les cheptels domestiques d’un facteur de 10 à 100 comparés aux taux de prédation exubérants constatés chez nous. Ces techniques permettent de neutraliser les « spécimens » de loup responsables des dommages récurrents aux troupeaux sans s’attaquer à « l’espèce », protégée au plan international par les conventions de Washington et de Berne.
Le discours paradoxal du politique ne peut qu’entraîner une schizophrénie des acteurs : aucune cohabitation n’est possible avec un loup présenté dans ces arrêtés comme démoniaque -car il s’agit bien de le détruire en tant qu’espèce– et simultanément, en demandant à la société et à la profession la plus exposée de l’accepter ? Où sont le sens et la cohérence de cette politique ? En psychologie, cela s’appelle la « double contrainte ». Serait-ce le projet caché du gouvernement et l’ambition du Président pour la biodiversité, dont il a fait un enjeu de restauration ?
Alors que le retour de cet animal invite et oblige les sociétés modernes à penser une autre légitimité, fondée sur un cadre politique où puissent s’exprimer à la fois les intérêts des hommes… et des loups, et avec eux la pérennité des autres espèces et du monde vivant. Là où justement toutes les politiques en faveur de la biodiversité comme du climat ont jusqu’à présent échoué à le faire !
[1] Spécimens responsables des dommages aux troupeaux.
Notre réponse à cette consultation est en ligne sur : http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/1-projet-d-arrete-fixant-le-nombre-a483.html#forum11410
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