Pour une acceptabilité sociale de la vie avec les grands prédateurs.

JJB et AN, 2/10/2018, © Association Houmbaba.

Cessons cette manière de faire de l’écologie…  qui ne produit que du conflit !

Cohabiter avec de grands prédateurs dans une société moderne ne s’improvise pas et ne se décrète pas. L’idéologie écologique qui accompagne la réintroduction de grands animaux depuis 40 ans en France ne fonctionne plus. Les gens n’acceptent plus qu’on leur impose de vivre avec des animaux potentiellement dangereux, en étant incapable de mettre en concordance le discours et la réalité de la vie avec, là où ça se passe. Si l’on n’est pas dans l’exigence de la réussite, c’est-à-dire si l’on ne dispose pas des connaissances, des savoirs et des techniques permettant de le faire, cela ne peut conduire qu’au discrédit et à la ruine du discours de l’écologie politique et de l’action publique.

Ainsi, engager la réintroduction de deux ourses dans les Pyrénées, dans les conditions et le calendrier prévus, relève d’une incompétence « crasse »: politique, scientifique, écologique, technique et éthique. Mais c’est d’abord faire bien peu de cas du bien-être animal, que d’envisager de délocaliser avec cette brutalité et à cette saison, ces deux femelles d’origine slovène, sans période d’acclimatation, en prenant le risque de les placer de fait en territoire non seulement étranger mais « hostile » (comme en 2006), à une période critique de leur cycle annuel, la préparation de l’hibernation. Selon les mêmes protocoles indigents que ceux engagés depuis 1996 dans les Pyrénées, sans avoir rien appris des expériences précédentes. Ainsi engagée, cette réintroduction ne peut que produire incompréhension, désarroi, colère et participer d’un climat de violence sociale, devenu aujourd’hui insupportable. C’est assez de devoir vivre dans une société en conflit permanent, chaque jour un peu plus les uns contre les autres, pour ou contre la souffrance des éleveurs, en guerre contre la nature, l’ours ou le loup… contre elle-même, l’autre ou le musulman.

Cohabiter, vivre avec un grand prédateur, c’est l’amener à respecter des limites dans sa relation avec les humains, en fonction des situations, posées en terme d’interaction, de territoire et de comportement. Et cela en permanence. C’est pourquoi les humains se doivent toujours d’intervenir immédiatement pour influencer le comportement d’animaux porteurs de dangerosité potentielle, de peur et d’intranquillité permanente, dès qu’ils interagissent avec les humains si l’on doit cohabiter avec eux. Et éviter que des conflits épisodiques ne deviennent chroniques.

En effet, il ne s’agit pas de réintroduire quelques individus d’une espèce protégée de grands animaux, pour faire joli sur la photo, mais parce que c’est bon : bon pour l’animal, l’espèce, l’écosystème, le territoire, l’eau, les sols, la forêt, les usages, l’économie des régions concernées, et bon pour la société tout entière. C’est la fonction écologique qui est déterminante ici. Le prédateur a pour fonction de produire de la qualité et de la résilience dans le monde vivant. « Il faut sauver les vieux arbres et les grands carnivores ». C’était déjà le message de deux études internationales parues en 2014 sur le rôle irremplaçable des plus grands prédateurs et le rôle climatique des « grands de la forêt». Cela suppose donc, de se placer dans l’exigence d’une politique de l’innovation, plaçant la biologie et la qualité des relations entre vivants humains et non humains au cœur du projet, avec la volonté, l’obligation et la joie de la réussite.

Et cette réussite n’est possible que si l’on dispose du « corpus technique », des savoirs -et donc de la science- pour la mener à bien, et non d’une idéologie écologique moralisatrice et malsaine, se résumant le plus souvent à une injonction morbide, sans science ni conscience. Car cela signifie que l’objectif de ces politiques environnementales, c’est bien de vivre avec des populations viables -1000, 2500, 5000 individus ou plus ?- toutefois sans jamais avoir pris le soin d’en débattre ni de demander à la société avec quelle population de ces grands animaux il était possible de vivre ? Si la société était prête à le faire, ni à quelles conditions ? On ne parle pas ici uniquement de la société urbaine généralement acquise, mais des communautés locales qui auront à cohabiter durablement avec, et non à vivre à côté. Il est inconcevable de prétendre vivre séparé de la réalité du monde vivant, à côté de grands animaux (ou des virus…), c’est impossible en effet. Comme les humains, ils sont mobiles eux aussi, et choisiront pour s’installer les endroits où ils se sentiront le mieux ! Il nous faut donc impérativement et préalablement avoir appris à le faire. Ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Car ces savoirs ont été perdus. Et la place des grands prédateurs n’est certainement pas dans la bergerie !
Alors, réintroduire des ours dans les Pyrénées, les Alpes ou le Massif central ? Oui, mais pas comme ça! En s’inspirant de la grande tradition française des « coureurs de bois », de Gaston Phébus à François 1er, selon un nouvel « art de vie » -et une économie- à ré-inventer ensemble au cœur des « terroirs sauvages », en déployant un « corpus technique à la française » et avec un préalable : restaurer la confiance des éleveurs dans la capacité des autorités à les protéger des animaux -et des individus précisément- qui gênent la société quand ils choisissent d’entrer en conflits avec elle. Réintroduire de grands animaux est toujours une aventure qu’il doit être possible d’interrompre, si cela ne se passe pas comme prévu. Toutefois pour les populations concernées, la réintroduction revêt avant tout une dimension socio-politique et identitaire, ce qui ne la rend possible qu’au terme d’un processus politique, juridique, social, scientifique et technique exemplaire. C’est à cette réalité qu’il convient de s’attacher collectivement pour la réussir.

Interview Antoine Nochy, Libération

Par Catherine Calvet — 17 août 2018

« Pour le loup, c’est l’éleveur qui vit sur son territoire et non l’inverse »

Selon Antoine Nochy, chasseur, éleveur et pisteur, le loup est un prédateur supérieur, doté d’une grande faculté d’adaptation, comparable à l’homme.

Antoine Nochy vit dans les Cévennes, il est éleveur, chasseur et surtout pisteur. Il raconte son expérience dans plusieurs pays d’Europe et aux Etats-Unis dans la Bête qui mangeait le monde (1). Et il propose des «pistes» pour une coexistence entre les deux prédateurs supérieurs que sont le loup et l’homme.

Libération: Le débat sur les loups en France est tendu…

Antoine Nochy : Le débat est surtout incomplet, il manque un personnage crucial : le loup. Il y a une méconnaissance à son sujet. La transmission des savoirs s’est interrompue à un moment donné. On s’est coupé de l’expérience des anciens. Les traces d’une présence passée du loup sont pourtant partout. Mais elles n’ont plus de sens pour les contemporains. Le loup est inscrit dans nos cadastres : c’est ce qu’on appelle les loubières, c’était à la fois la tanière du loup et, par extension, les lieux où ils évoluaient. La toponymie nous indique clairement où étaient les loups : La Colle-sur-Loup, Louvières… Le loup a un territoire très étendu : près de 200 kilomètres carrés. Et il n’y a qu’une seule meute de loups par territoire. Si on ne peut plus les éradiquer, le plus simple est d’essayer de circonscrire des endroits réservés. Et surtout, nous devrions tous échanger les informations sur la présence du loup, sur son observation. Les éleveurs comme les écologistes, mais aussi les pouvoirs publics. Le loup est imprévisible et insaisissable : la plupart des meutes sont sédentaires, mais certaines sont nomades. Même les meutes sédentaires ne cessent de se déplacer sur le territoire qui est le leur. C’est un prédateur supérieur, comme l’homme, il s’adapte constamment. Je le définirais comme un animal social, voyageur et tueur.

L : Vous comparez souvent le loup à l’homme…

AN : Certaines thèses anthropologiques parlent d’ailleurs du loup comme un singe-homme. Hommes et loups ont une dynamique collective et prédatrice. Le loup a toutes les caractéristiques du prédateur supérieur, comme les requins, les ours ou les lions, il n’est pas spécialisé sur une proie et il va réguler lui-même sa population. C’est ainsi qu’il vit dans une double agressivité : face à ses congénères, et face à l’homme qui est un concurrent. La guerre entre l’homme et le loup est très ancienne.

L : Vous côtoyez vous-même le loup dans les Cévennes…

AN : Je vis à côté d’une meute de cinq loups, elle s’est probablement constituée en 2003 ou 2004. Mais les premiers problèmes ne sont arrivés qu’en novembre 2016. Avant ? Ils nous observaient. Il y a peu, dans mon village, une vieille vache a été attaquée juste après avoir vêlé. Il savait que cette vache n’était plus en état de se défendre. Il l’a choisie parmi un troupeau de dix-sept. Et il l’a préférée à des agneaux qui étaient gardés par plusieurs chiens et un berger. Une fois qu’ils ont commencé à attaquer et que cela a marché, ils ne cessent jamais. Pour le loup, c’est l’éleveur qui vit sur son territoire, pas l’inverse. On se focalise souvent sur une fragilité du loup, on veut le protéger, lutter contre sa disparition, sans prendre en compte son immense adaptabilité.

L : Quand le loup attaque-t-il les élevages ?

AN : Le loup préfère manger des animaux sauvages. Quand il attaque ou quand il «sort du bois», c’est souvent le résultat de mois ou même d’années d’observation. Mais comme nous avons perdu notre culture lupine, nous ignorons que lorsque le loup s’attaque aux troupeaux, c’est qu’il n’y a plus rien à manger, plus de gibier. Or, c’est aussi de mauvais augure pour l’homme. Dans le passé, c’était le début de la pauvreté, voire des disettes. C’est dans ce contexte qu’il attaquait le bétail, mais aussi les humains affaiblis. Nous avons suivi un modèle de régulation suédois qui préconise la chasse quand le loup attaque. Mais il faut intervenir avant. Il y a parfois une dizaine d’années entre l’arrivée du loup et les premières attaques. Et quand il attaque, il est déjà trop tard. Surtout, l’élevage intensif extensif, un maximum de bêtes pour un minimum de présence humaine, favorise les attaques de loups. Or, les bergers sont le seul rempart entre les loups et les moutons. Mais les éleveurs ont des problèmes économiques bien plus importants que les loups : la plupart des élevages ne dégagent que 300 euros de bénéfices par an…

L : Vous êtes aussi pisteur aux Etats-Unis ?

AN : Le travail de pisteur est ce qui m’intéresse le plus. Les Américains attrapent jusqu’à 150 loups par an. C’est très utile, un loup capturé n’attaquera plus jamais les troupeaux. Et sa meute va fonctionner de façon analogue une fois qu’il la rejoint, donc le gain est double. Je recommande l’usage de la capture depuis 2004. Ne laissons pas les éleveurs seuls. L’Etat leur doit au moins la protection. Le loup est un marqueur du sauvage dans des milieux où il n’y a plus de sauvage.

(1) Ed. Arthaud, mars 2018.

https://www.liberation.fr/france/2018/08/17/antoine-nochy-pour-le-loup-c-est-l-eleveur-qui-vit-sur-son-territoire-et-non-l-inverse_1673234

Nouveautés

Lobos ibericos, anatomia, ecologia y conservacion (vol.1), 531 p. ; et Lobos ibericos, indicios de presencia (vol. 2), 186 p. 55 €.
De Angel Iglesias Izquierdo, Angel Javier Espana Baez et Jose Espana Baez
Editions Nayade Nature, Valladolid (2017).

Les auteurs, vétérinaire, biologistes et médiateurs environnementaux figurent parmi les meilleurs spécialistes de la faune sauvage et des carnivores d’Espagne. En mettant en commun leur immense expérience de terrain dans l’étude, le recensement, la distribution, le mode de vie, l’alimentation, les indices de présence, l’éducation et la formation auprès des autorités et de la société, des populations de loups ibériques, ils nous livrent une monographie en deux volumes et un état des connaissances exceptionnels des populations espagnoles et portugaises de la sous-espèce, Canis lupus signatus1 Cabrera, 1907. Avec 1 500-2 000 loups en 2015 (297 meutes, sur une superficie de 100 000 km², soit 1/5e du territoire), la péninsule accueille la plus importante population de loups du continent européen, après la Russie et la Roumanie.
Le volume 1 détaille en 20 chapitres, les origines de l’espèce, l’anatomie, l’identification, l’habitat et la  distribution, le territoire, les déplacements, le comportement, les techniques de chasse, sa fonction biologique, l’étude de l’espèce sur le terrain, ses rapports avec l’homme, les conflits avec l’élevage… et la législation. Le tout avec une iconographie complète, dans son format, son utilisation et sa précision, obtenue à la foi dans la nature et en semi-captivité. Les planches photos de la dentition de loups, à différents stades de leur vie, illustrent, s’il en était besoin, que la vie d’un super-prédateur n’est pas un long fleuve tranquille (p. 98, la mâchoire d’un individu de 14 ans, ou celle, p. 99, d’un individu mort pris dans un lacet, aux dents usées d’avoir rongé le fil d’acier qui le retenait prisonnier).
Les auteurs n’éludent pas le sujet des attaques du loup sur les humains (vol. 1, p. 370-375). Ils reviennent sur trois attaques survenues en Galice entre 1957 et 1959 (époque avec « peu de proies sauvages et des loups abondants »), et la dernière en 1975 : une première attaque de trois enfants, dont deux seront tués, la seconde le 25 juin 1957 sur deux enfants de 5 ans, et la troisième sur 4 personnes dont deux ne survivront pas. En 1975, c’est un loup qui agresse un enfant de 3 ans, le blessant avant d’être mis en fuite.
Deux pages sont consacrées à des recommandations pour prévenir des attaques de loup, un peu comme en Amérique du Nord, où habitants, chasseurs ou randonneurs sont invités à adapter leur comportement pour prévenir ou réagir face à l’agressivité d’un grand prédateur (ours noir, grizzly, puma…). Le loup n’est ni méchant, ni gentil. Comme l’eau ou la pluie, et bien des animaux domestiques, il peut simplement parfois s’avérer dangereux. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre, mais d’apprendre à vivre avec.
Le volume 2, consacré aux indices de présence sur le terrain, est inédit et unique dans la littérature européenne, française et anglo-saxone, récente sur le loup. 186 pages sont exclusivement consacrées, en huit chapitres, avec une très grande richesse iconographique, à l’examen et à l’identification des indices de présence dans la nature du loup ibérique :
– Empreintes, voies et pistes (pas moins de 65 pages), sur tous les substrats et pas seulement dans la neige, sur les six allures de déplacement, sur la distinction entre antérieur et postérieur, entre membre droit ou gauche, avec les chiens domestiques ou « asilvestrados »…;
– Excréments, urine et « vomitos » (38 pages) : plus d’une centaine de documents photographiques originaux, détaillant l’aspect, les mensurations, l’évolution dans le temps des fèces, leur situation dans la nature, leur localisation selon le calendrier du loup, la nature des proies … ; des documents uniques sur des fèces diarrhéiques (après l’absorption importante de sang ou traduisant une pathologie digestive ou intestinale ?), ou de rejets gastriques, « vomitos », de poils, charognes ou après absorption purgative de végétaux … ;
– Gîtes et tanières (17 pages) ;
– Restes de proies, charognes, examens des signes d’attaques et de consommation (36 pages) : analyse des blessures observables sur les proies blessées, tuées ou consommées, la localisation des lésions, du type de consommation, de l’état du cadavre ou des restes, les traces de la dentition (l’espace supérieur inter-canines et sa comparaison avec l’Ours brun, le Lynx pardelle ou le renard…), superficielles et en profondeur … ;
– Poils de loups (8 pages) accrochés à la végétation ou aux clôtures ;
– Grattis et griffades (8 pages) : aux fonctions visuelle, olfactive et territoriale ; les documents photographiques largement inédits détaillent trois types de grattis, simples réalisés par les membres antérieurs, complets réalisés simultanément par les antérieurs et les postérieurs, enfin les grattis complexes composés d’une succession de plusieurs grattis ;
– Excavations (6 pages) : réalisées avec les pattes antérieurs pour accéder à des sources de
nourriture ou pour enterrer des surplus de proies non consommés ;
– Sentiers et ossements de loups (4 pages).
« De visible il n’y a que des traces de canidés dans la boue. Mais avec d’autres yeux, il s’agit de recomposer une trajectoire, d’extrapoler un parcours, une allure, un faisceau d’intentions, qui disent une manière d’habiter un lieu ».
La lecture de Lobos ibericos est à la fois une magnifique invitation et aussi une admonestation sans frais adressée aux responsables du dispositif français de suivi et de gestion du loup, pour nous rappeler qu’acquérir les techniques et les aptitudes pour conduire un pistage complexe (simple, systématique et spéculatif d’après Liebenberg2, 2013) reste le préalable à toute pratique scientifique sérieuse d’étude et de gestion d’une espèce élusive, dont le mode d’existence (sa capacité à disparaître dans un paysage) empêche de produire facilement des preuves de sa présence. Toutefois, les gens qui vivent en pays à loups n’arrêtent pas de le voir sans le voir, autrement dit de le repérer par d’autres signes. Comprendre l’animal, et donc déterminer le mode possible de relations avec lui, c’est d’abord comprendre comment il circule.
L’autre leçon des scientifiques espagnols que nous, français, serions bien inspirés d’entendre : vivre avec un grand prédateur n’est pas affaire d’opinion, être pour ou contre, ce qui est aussi absurde qu’être pour ou contre la pluie ou la maladie, mais de savoirs. Pour lui signifier que sa place n’est pas dans la bergerie et les troupeaux d’ovins ne sont pas pour lui. Qu’on entre en relation, qu’on lui parle3, en somme, entre êtres sociaux que nous sommes tous ! Avec la seule question qui vaille, ce qu’il faut savoir pour vivre avec.

1 La Catalogne est la seule région d’Espagne qui accueille depuis 2000 une petite population de loups italiens Canis lupus italicus. Altobello, 1921.
2 The Origin of Science. The Evolutionary Roots of Scientific Reasoning and its Implications for Citizen Science, le Cap, Afrique du Sud, CyberTracker, 2013.
3 Qu’on lui communique nos intentions, lui signifie des limites, des frontières ou des interdits.

JJB, le 01/05/2018

Le chacal doré, une nouvelle espèce en territoire français ?

Florian Bardou – Libération – mercredi 4 avril 2018

Originaire d’Europe du Sud-Est, ce petit carnivore a été aperçu à plusieurs reprises par des chasseurs et protecteurs de l’environnement de Haute-Savoie ces derniers mois. Des observations ponctuelles confirmées par l’ONCFS.
On le dit semblable à un petit loup. D’une cinquantaine de centimètres au garrot et doté d’un museau pointu, le chacal doré (canis aureus, de son nom latin) ressemble plutôt à un gros renard. Mais contrairement à ces deux canidés emblématiques de la faune française, le chacal doré, dont l’aire de répartition historique s’étend des Balkans au sous-continent indien, n’avait jamais été remarqué à l’ouest des Alpes. Du moins jusqu’à cet été. Ce petit prédateur «opportuniste» avait en effet été photographié à trois reprises dans le Chablais par des chasseurs et des protecteurs de la nature de Haute-Savoie.
Dernières en date, les photos en couleur de la Fédération Rhône-Alpes de la protection de la nature (Frapna) montrent le canidé en train de renifler la terre près d’une souche, à la belle étoile. «On savait que la fédération de chasse avait pris quelques clichés quelques mois plus tôt d’au moins un individu», abonde Christophe Gilles, mammalogiste de la Frapna. Et le naturaliste sait de quoi il parle puisqu’il a déjà observé l’animal à l’étranger. «Le chacal est une bestiole discrète et nocturne. On peut le confondre avec un loup à cause de son pelage d’hiver. Mais avec des photos en couleur et après des mesures, pas de doute : il s’agit bien d’un spécimen de cette espèce», explique-t-il.
Ses observations, obtenues grâce à des pièges-photo pour la surveillance du loup et du lynx, ont cette fois été «validées» par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui confirme d’ailleurs à Libération la présence d’au moins un spécimen en France. «Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a qu’un seul, qu’il se soit établi ou qu’il va s’établir tout de suite», précise Murielle Guinot-Ghestem, responsable de l’unité «prédateurs-animaux déprédateurs» de cet organisme.
La dynamique d’expansion naturelle de l’espèce vers le nord et l’ouest de l’Europe depuis un demi-siècle fait cependant dire aux spécialistes du canidé qu’il y a de grandes chances qu’on le considère à l’avenir comme une espèce autochtone. «Est-ce que cela se fera dans les années ou les décennies à venir ? Pour l’instant, on ne peut pas le savoir, poursuit Murielle Guinot-Ghestem. Le chacal est une espèce très adaptable avec une prédilection pour les zones humides et agricoles. Son régime alimentaire et son comportement étant comparables à ceux du renard, il ne va pas bouleverser l’équilibre naturel.»
«Ce serait un enrichissement pour la biodiversité», plaide pour sa part François Moutou, expert associé du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et ancien président de la Société française d’études et de protection des mammifères. Et pour ce vétérinaire à le retraite, même si le chacal a bénéficié de l’affaiblissement des populations de loup, les trois espèces européennes de canidés sauvages sont tout à fait capables de coexister. Reste la question du statut à donner à cette nouvelle espèce en France. «Une chose est sûre, il faudra lui en donner un : celui de gibier chassable, d’espèce susceptible d’occasionner des dégâts [les soi-disant nuisibles, ndlr] comme le renard, ou d’espèce protégée comme le loup», précise François Moutou.
Protégé en Allemagne, chassable en Croatie
En 2016, la Commission européenne a d’ailleurs considéré qu’en l’état des connaissances scientifiques actuelles, le canis aureus ne pouvait pas être traité comme une espèce exotique envahissante, obligeant les Etats membres où l’animal s’est installé à maintenir un bon état de conservation de l’espèce en vertu de son inscription en 1992 à l’Annexe V de la directive Habitats-Faune-Flore. Néanmoins, dans les 19 pays de l’Union européenne où il est présent, précisait en décembre la Société française d’études et de protection des mammifères dans son bulletin bimestriel, le chacal doré bénéficie d’un degré de protection très varié, d’espèce chassable en Croatie à espèce protégée en Allemagne.
http://www.liberation.fr/france/2018/04/04/le-chacal-dore-une-nouvelle-espece-en-territoire-francais_1640696

 

AUJOURD’HUI EN LIBRAIRIE : LA BÊTE QUI MANGEAIT LE MONDE

Antoine Nochy, récit 270 p., Ed. Arthaud

« La première fois que j’ai vu des loups, c’était en Cévennes, en 2004, à quatre kilomètres à pied du village dont est originaire ma famille. J’ai compris à cet instant que nous avions une meute. J’ai voulu en parler, ça n’était pas le moment. Les visages se fermaient, les sourcils se dressaient. Des loups ! Pensez donc ! Les années sont passées. Et puis d’un coup, plus de sangliers ou de chevreuils là où on les attendait d’habitude à la battue, des troupeaux fébriles, des traces en losange, des chiens qui disparaissaient, quelque chose dans le pays avait bel et bien changé. »

Dans les Cévennes où il vit, à une centaine de kilomètres du Gévaudan, sur les terres qui ont inspiré La Chèvre de monsieur Seguin, au royaume de cette bête dont on disait autrefois qu’elle mange le monde, Antoine Nochy a traqué le loup pendant plusieurs mois. Il a arpenté les sentiers, les berges, les drailles à la recherche de signes et de traces et a écouté parler les hommes. Le loup, ce prédateur dont l’éradication fut pour les Européens un des premiers critères de la modernité, est de retour. Saurons-nous cohabiter avec le sauvage ? Lui apprendre des limites et lui faire respecter les activités des humains, avec qui il doit, lui aussi, partager son territoire et ses usages ?

Antoine Nochy, philosophe, écologue, spécialiste de la cohabitation avec les animaux sauvages, a été formé à l’étude et à la gestion du loup par les scientifiques du parc national de Yellowstone. De 2000 à 2004, il a accompagné les équipes scientifiques en charge de la réintroduction du loup gris et du rétablissement de ses populations dans trois Etats américains des Northern Rocky Mountains (Wyoming, Montana et Idaho)

Pour réussir la cohabitation avec les loups français, une autre gestion est possible

Pour la première fois, une étude réalisée pour le compte de l’Association Houmbaba dévoile  les limites du dispositif français de suivi et de gestion du loup. Des solutions existent pour cohabiter avec une population désormais viable. Elles ne sont pas appliquées en France. Commençons par mettre en place des rapports d’enquête scientifique et de gestion par la capture non létale pour réduire les dommages et limiter les conflits.

Depuis le retour officiel du loup en 1992, c’est un discours de peur, de mort et de désespoir qui s’est installé dans la société, obligeant l’opinion publique à se positionner en permanence pour ou contre la souffrance des éleveurs. L’incapacité des autorités à les protéger, à limiter les dommages et à réduire les conflits avec l’élevage en neutralisant les « loups à problèmes », génère toujours plus de conflit permanent, de défiance, d’exaspération, de désespoir et de colère.

Avec 9 000 déprédations (« loup non exclu ») en 2015 pour 116-142 loups et 30 meutes, 12 000 en 2017 avec 154-217 loups et 44 meutes, combien avec 500, 1 000 ou 2 000 loups ?

La résonance politique et l’exigence scientifique de l’espèce interrogent l’échec, l’inefficacité et la responsabilité du dispositif français de suivi scientifique et de gestion en place depuis 2003, comme ceux des autorités.

Pour la première fois, l’analyse comparée des dispositifs de surveillance et des conditions du rétablissement de trois populations de loups (dans les Northern Nocky Mountain aux USA, en Allemagne et en France) de 1994 à 2015, réalisée par l’Association Houmbaba, révèle les raisons de l’incapacité du principal outil (déjà 3 plans national loup) de la politique des gouvernements successifs à évaluer la réalité de la présence, du mode de vie de l’espèce, à prévenir les conflits et à contrôler les situations générées par les individus (ou les meutes) responsables des attaques récurrentes. L’évidence commande d’interroger cet outil, d’expérimenter et d’en changer.

L’association Houmbaba propose un résumé en 20 points de cette étude avec cinq préconisations majeures. Parmi elles, les auteurs proposent de compléter le dispositif de primo détection de présence de l’espèce, de limiter le contrôle létal des loups aux individus responsables des conflits chroniques, tout en agissant sur leur comportement pour réduire drastiquement les conflits, et d’expérimenter l’usage de la capture non létale pour atteindre trois objectifs :

– Le « contrôle » ou la neutralisation des « loups à problèmes », responsables des attaques épisodiques pour éviter qu’elles ne deviennent chroniques ;

– L’acquisition des connaissances qui font cruellement défaut pour répondre aux besoins de la société ;

– Et la restauration de la capacité des autorités à protéger les éleveurs dans l’exercice de leur profession, condition de toute cohabitation supportable avec une population viable.

Le loup fonctionne dans des schémas d’autorisation que la culture et les usages humains lui imposent. Ceci dit, on ne sait pas capturer le loup ni même le détecter (à temps). Il faut donc commencer par apprendre qui est le loup en France et comment il fonctionne. Pour savoir lui faire peur, influencer son comportement et lui signifier des limites, pour lui faire respecter la vie et les usages des hommes avec qui il doit, lui aussi, partager son territoire et ses usages.

1 – Pour comprendre les causes de l’échec social, culturel et anthropologique de la cohabitation avec les « loups français » depuis 25 ans, l’étude examine les conditions du rétablissement de trois populations de loups (Canis lupus) sur la période 1994-2015 : dans les Northern Rocky Mountain (dans cinq Etats des USA), en Allemagne et en France.

2 – A travers l’évolution documentée de leur statut, de leur distribution, des dispositifs de surveillance et de gestion des populations sur une vingtaine d’années, l’étude éclaire les conditions nécessaires de toute cohabitation supportable et d’acceptabilité sociale, indispensables au rétablissement de populations viables de grands prédateurs dans des pays développés.

3 – Si les objectifs généraux des dispositifs de surveillance (monitoring et suivi) des meutes ‒ la principale unité démographique ‒ semblent assez proches de prime abord, ils différent fortement et singulièrement pour la France, en termes d’objectifs, de méthodes, de moyens et de connaissances d’une part, de choix des autorités et de résultats dans la gestion des interactions avec l’élevage d’autre part.

4 – Aux USA et en Allemagne, les dispositifs de monitoring sont conçus et adaptés selon les besoins pour appréhender au plus près la réalité biologique de l’animal, et apporter aux autorités les connaissances et les techniques nécessaires pour faire face à toutes les situations engendrées par la cohabitation avec une population de loups, et prioritairement à celles qui gênent la société : limiter les dommages et réduire les conflits au minimum, identifier et neutraliser les « animaux à problèmes », responsables des conflits épisodiques et éviter qu’ils ne deviennent chroniques.

5 – En France depuis 2003, le dispositif est organisé pour estimer et prédire « l’effectif total » de la population de loups par des techniques d’identification individuelle (CMR ‒ capture-marquage-recapture ‒ ou « suivi génétique non invasif » des excréments) associées à des instruments statistiques de modélisation et de simulation de la dynamique démographique. Il s’agit de disposer d’une « estimation précise » de la population et d’un dispositif « dans tous les cas suffisant pour déterminer les niveaux de prélèvement acceptables sans porter atteinte à l’état de conservation de la population ». Le suivi scientifique ignore la biologie, le comportement du prédateur et les interactions avec l’élevage. Aucun corpus technique de savoirs à la française n’existe pour y faire face, alors que l’ensemble des techniques de protection conçues comme complémentaires repose sur l’hypothèse (fausse) d’une prudence générale des loups vis-à-vis des humains.

6 – Aux USA, le dispositif produit une science lisible par les usagers qui vivent avec l’animal, et tournée vers eux, avec l’intelligence de ne pas se laisser submerger par la technologie, la modélisation et la statistique, et basée sur l’exactitude des phénomènes produits par l’animal : 1 904 loups (effectif minimum détecté), 316 meutes et 384 déprédations indemnisées en 2015.

7 – En Allemagne, l’acceptabilité sociale est aussi au rendez-vous en 2015, avec 32 meutes et 219 déprédations indemnisées en 2015 (pour 17 des 25 meutes reproductrices).

8 – En France, le dispositif scientifique, technique et politique n’apporte aucun début de réponse aux questions posées depuis 20 ans sur ce que serait une cohabitation supportable avec l’élevage : 116-142 loups (effectif minimum retenu), 30 meutes et 8 941 déprédations indemnisées en 2015 ; avec pour résultat le conflit permanent, la défiance, l’exaspération, le désespoir et la colère.

9 – L’échec de la cohabitation avec les « loups français » peut être compris comme notre incapacité à interpréter les crises récurrentes de nos confrontations avec le loup ‒ avec certains loups, certains troupeaux et en certains lieux ‒, à « communiquer » dans un code commun, donc nécessairement à entrer en relation (autrement que par un tir au hasard « non localisé dans l’espace et dans le temps ») avec l’animal qui attaque, et à élaborer des modes d’interactions adaptés, c’est-à-dire permettant de comprendre et d’agir sur le comportement du prédateur pour le forcer à renoncer.

10 – Le taux de dommages français en 2015, compris entre 8 et 13 têtes/1 000 ovins est 32 à 52 fois supérieur à celui observé aux USA (0,05 tête/1 000 bovins et 0,2 tête/1 000 ovins). Le ratio de dommages indemnisés est de 21,2 têtes de bétail/100 loups (0,21/loup) et 1,2 tête/meute aux USA (avec 1 904 loups et 314 meutes). En France, il s’élève à 7 000 têtes de bétail/100 loups (70/loup) et 298 têtes/meute (avec 116-142 loups et 30 meutes).

11 – La réponse apportée par tous les gouvernements aux conflits engendrés par certains loups avec l’élevage ovin est la même depuis 15 ans : les résultats montrent qu’elle est inadaptée et inefficace. Le dispositif scientifique de « contrôle létal par le nombre », adopté en 2003 et en vigueur depuis 2013 avec des campagnes d’abattage d’un pourcentage de loups chaque année (10 %, soit 36 à 40 loups), avec l’allégation sans fondement scientifique « de prévenir les dommages importants à l’élevage », est inadapté. Pour être efficace, il s’agirait d’être en mesure d’interagir, d’identifier, de suivre et de « contrôler » les « loups à problèmes », responsables des attaques pour éviter qu’elles ne deviennent chroniques. Ce que le dispositif scientifique français ne permet ni n’envisage de faire.

12 – Le renforcement seul des mesures de protection ne suffit pas. C’est la principale leçon de l’échec français en dépit des 16,6 millions d’euros affectés en 2015. La prédation est une interaction entre deux partis. Avec la protection efficace des cheptels, il y a obligation à devoir se confronter à l’animal, à interagir avec lui en situation d’attaque pour lui signifier des limites, la frontière d’un territoire ‒ celui de l’éleveur avec son troupeau ‒ qu’il ne devra plus franchir quand ces derniers s’y trouvent. De fait, les seuls dispositifs de prévention et de compensation des dommages existants, en plus d’être coûteux et insuffisants, encouragent un état permanent de conflits, et plongent les éleveurs dans la souffrance et l’incompréhension.

13 – Cela suppose de disposer d’un dispositif technique immédiat, systématique et réfléchi utilisant les femmes et les hommes sur place, les chiens et les tirs de défense ; si cela n’est pas suffisant, avec une équipe d’intervention mobilisable sur un simple coup de fil pour accompagner les éleveurs (car ce n’est pas leur métier), en situation avec des moyens adaptés pour interagir de manière agressive si besoin, de façon systématique et à chaque tentative d’attaque, pour obliger le prédateur à renoncer et à éviter les lieux par la suite.

14 – Il s’agit au moment de l’attaque de casser la persistance acquise de la vulnérabilité du système d’élevage et du mouton pour le prédateur, renforcée par chaque attaque réussie. C’est dans cette interaction prédateur/proie, complexe et violente, que réside la possibilité de la contrarier pour l’humain, en s’y confrontant, par une gradation agressive du stress et un risque de blessure auxquels le comportement du loup est très sensible pendant l’attaque (risque grave pour sa vulnérabilité de prédateur ‒ d’être blessé ou tué ‒ quand la proie a appris à résister). Ce que permet la capture non létale. Avec la télémétrie, c’est une technique à effet systémique en termes de connaissances et de capacités d’action en temps réel, ce dont la société a justement besoin pour protéger l’élevage.

15 – Par l’utilisation d’un piège homologué (type easy grap) et de la télémétrie (suivi de l’animal par collier géo-localisable), il s’agit de capturer au plus vite quand les loups sont présents, en situation d’attaque ou immédiatement après (parce qu’ils sont là), pour sortir du registre de l’émotion, de la colère, de l’échec ou de l’impuissance, et se situer dans celui de la raison, du droit et de l’action autorisée pour influencer le comportement de l’animal ou de la meute (générer un comportement d’évitement, contrôle non létal) ou le (la) neutraliser en cas de dommages chroniques et récurrents (contrôle létal). D’accompagner l’éleveur, de mettre fin à son intranquillité permanente, et d’être enfin, pour les autorités, en capacité de le protéger dans l’exercice de sa profession.

16 – Le contrôle létal par le tir devient alors possible, autorisé une fois l’animal rétif, responsable d’attaques ou à fortiori de dommages chroniques, identifié et suivi. Ce que permet le statut de l’espèce. Ce dispositif technique n’est toutefois pas envisagé dans le 4e PNLoup.

17 – La question n’est pas d’être pour ou contre le loup, de le tuer ou de l’éradiquer, mais de se défendre, et d’être en capacité d’agir pour contrôler les situations que l’animal qui entre en conflit avec l’élevage impose et qui gênent la société. La cohabitation avec une population viable de loups n’est possible que lorsque les doutes des éleveurs sur la capacité des autorités à les protéger, à « contrôler » au quotidien les situations dangereuses ‒ pour les biens, le bien-être au travail et les entreprises ‒ qu’elle peut produire, auront été levés.

18 – Le terme « contrôle » désigne ici le processus de collecte d’informations sur l’identité, la place, la biologie et le comportement de l’animal, permise par la capture non létale, la discussion juridique sur la gradation de ce qu’il est possible de faire en fonction de la nature de l’interaction avec l’animal qui attaque, et l’attitude avec l’action technique en retour dont l’objectif est de rétablir la tranquillité de l’éleveur dans l’exercice de son activité. Il s’agit d’un contrôle des situations et en aucun cas de l’animal ou de l’espèce, le loup, par nature, restant une espèce incontrôlable, au comportement toutefois influençable.

19 – Vivre durablement avec une population rétablie de loups suppose de savoir changer les rapports avec la réalité violente, oppressante, désespérante, morbide et insupportable pour les éleveurs exposés, que cette population est susceptible d’imposer à la société, quand elle choisit d’entrer en conflit récurrent avec l’élevage. C’est la condition d’une cohabitation supportable. Pour cela une autre ambition scientifique est nécessaire. La réalité de la biologie et du comportement, l’intelligence et la force de l’espèce nous y obligent, là où la seule génétique et les modèles démographiques ne sont d’aucune utilité : régler d’abord les situations générées par les « animaux à problèmes », et mobiliser expertise, science et ingénierie écologique pour le faire.

20 – L’étude propose cinq préconisations majeures pour compléter ou revoir les dispositions du 4e Plan national loup en consultation jusqu’au 29 janvier 2018. En effet, « monitoring » et gestion devraient ramener le dispositif de surveillance français dans une exigence simple, celle des connaissances nécessaires pour agir efficacement dans les situations qui précisément gênent la société. Il y a obligation pour les autorités à y parvenir. Toutefois, l’expertise, les outils et les techniques requises ne figurent pas dans les expérimentations annoncées dans le plan. Dans la perspective de conservation d’une espèce difficile, il n’est pas possible de tenir ses engagements en laissant des discours, un vent de frayeur, le désespoir et la souffrance accompagner toute prise de décision. Toute situation doit absolument être réversible. Il est fondamental d’avoir les gens et les techniques pour produire un changement effectif d’une situation conflictuelle, et ainsi éviter qu’elle ne devienne chronique. Nous constatons que ce n’est toujours pas le cas, 25 ans après le retour officiel du loup en France.

Le « défi » français ne réside pas dans l’atteinte du seuil de 500 loups, l’espèce ni sensible ni fragile n’a pas besoin de nous pour y parvenir, mais d’apprendre à cohabiter avec une population désormais viable, et d’être capable d’affronter la normalité de la vie avec un grand prédateur.

On ne vit pas à côté du loup, mais on vit avec le loup. Quand comprendrons-nous qu’on ne peut « laisser le loup s’installer dans la bergerie » si l’on veut prétendre être capable de vivre avec. Contribuer à en faire un commensal de l’homme comme le dispositif français s’y emploie depuis 25 ans est non seulement une erreur, mais une faute grave et incompréhensible ‒ une folie même ‒ si l’on doit cohabiter durablement avec une espèce sauvage encouragée à générer toujours plus de conflits et de dommages, de souffrance et de désespoir dans la société. Le « chez soi » du loup n’a pas à occuper le « chez soi » des humains, ce qui n’interdit pas au loup d’avoir son « chez lui ». La clé pour les humains, c’est de ne pas laisser le loup… « sortir du bois ».

JJB, le 25/01/2018 © Association Houmbaba

Citation suggérée de l’étude :

Blanchon J.J. et Nochy A. 2017 : Statut, distribution et gestion des populations de loups (Canis lupus) : Analyse comparée de trois populations de 1994 à 2015, dans les Northern Rocky Mountain (USA), en Allemagne et en France. Standards de suivi et terminologie, résultats et interprétation, questions et préconisations sur les objectifs, les méthodes et le rétablissement du loup en France. 75 p. Pour le compte de l’Association Houmbaba : www.houmbaba.com

 

Réponse à la présentation par N. Hulot (08/01 sur Facebook) du Plan National Loup 2018/2023 (et à l’invitation à la consultation publique jusqu’au 29/01)

Partagez avec la société votre envie et votre joie de réussir à cohabiter avec les loups français…

Au lieu de ça, le même discours et la même politique que tous vos prédécesseurs depuis 20 ans,

Une injonction morbide, sans pensée ni vision…

Et sans solution pour le faire !

1- Le discours

Une communication politique loin des réalités de la vie avec, sans science ni conscience, sans raison ni rigueur… Une injonction morale, empreinte de religiosité, de souffrance, de mort et de tristesse. Pour relever ce qui nous est présenté comme un « défi de civilisation » : cohabiter avec la grande faune et vivre avec 500 loups d’ici la fin du quinquennat. Car ce n’est pas « négociable ». La belle affaire. Encore faudrait-il apprendre, savoir et mobiliser pour réussir à le faire.

Et rompre avec ce discours de désespoir, de souffrance et de mort qui accompagne le retour du loup depuis 25 ans en France ! « Aux éleveurs, je demande d’accepter d’en payer le prix (plus de 10 000 animaux tués et indemnisés en 2016 avec 190 loups –effectif moyen détecté– ou 360 –chiffre cité par le ministre, d’après modèle– et combien avec 500 loups bien vivants cette fois ?), et aux protecteurs de la nature, une « campagne d’abattage » de 40 loups/an, une simple vengeance aléatoire pour leur apprendre à vivre. N’ayez crainte puisque je vous le dis, la biodiversité c’est formidable, c’est notre « engagement ». Je vous demande juste de la supporter et de vivre avec, comme on demande aux pays africains de vivre avec leurs lions. »

Monsieur le ministre, la biodiversité, ce n’est pas ça, une injonction et votre triste discours. C’est la gastronomie, un art de vie à la française, des paysages naturels, le « chez soi des animaux », le sauvage, des vivants non humains dont on ignore les forces et les pouvoirs, et qui ne nous demandent pas notre avis, de l’inattendu et de l’impensé… D’abord une sensation et une émotion, une relation, une joie et une expérience qui valent d’être vécues. Pas ce dont vous nous parlez.

Cette triste réalité, c’est le résultat du dispositif de suivi et de gestion français du loup en vigueur depuis 2003, la politique de tous les gouvernements qui vous ont précédé et qui ont échoué. Vous nous proposez quoi pour en changer et partager avec la société l’envie et la joie enfin, de réussir à cohabiter avec les loups français ? Et comment fait-on pour vivre avec au quotidien ? Vous proposez quoi ? Je crains qu’une citation fût-elle de Gandhi n’y puisse suffire, pas plus que ce 4e plan qui se trompe de priorités. Vivre avec la biodiversité, c’est en faire quelque chose de positif, et d’abord pour les éleveurs. Ce sont eux qui sont « assignés » à vivre avec au quotidien.

2- Les deux objectifs et les principales dispositions du PNLoup (communiqué AFP)

« Le gouvernement se fixe un double objectif, le premier c’est d’assurer la viabilité, pour l’instant incertaine de l’espèce sur le territoire, c’est un objectif non négociable ».

« Le nombre actuel, 360, bientôt sans doute 400, est encore insuffisant, et nous visons au moins 500 avant la fin du quinquennat, conformément à nos engagements pour la biodiversité ».

« Le deuxième objectif, à parité avec le premier, est la protection des éleveurs et des troupeaux », a-t-il ajouté, évoquant une « priorité absolue » dans le « renforcement des mesures de protection ».

« S’agissant du nombre de tirs de prélèvements (abattages) de loups autorisés chaque année, il se base sur des préconisations scientifiques : qu’ils ne dépassent pas 10% de la population » (les 40 individus/an mentionnés par NH dans son intervention).

« On ne peut exiger des pays africains qu’ils protègent leurs lions si nous-mêmes en France, on n’est pas capable de cohabiter avec le loup et l’ours. C’est un défi de civilisation que se propose de relever ce plan ».

Les principales dispositions :

1- Former les éleveurs à conduire des chiens de protection.

2- Mieux comprendre le loup pour mieux protéger les troupeaux.

3- Des éleveurs indemnisés à la condition que les mesures de protection des troupeaux soient en place.

4- Une « campagne de tirs » calée sur l’année civile (1e janvier au 31 décembre au lieu du 1e juillet au 30 juin de l’année suivante).

3- Commentaires

La question n’est pas de satisfaire une vengeance aléatoire, sacrificielle, et de tuer au hasard 40 loups strictement protégés/an, au prétexte illusoire de « prévenir des dommages importants à l’élevage ». C’est une allégation mensongère, sans fondement scientifique, dans la mesure où pour être efficace, le tir doit viser l’animal responsable des attaques récurrentes. Ce que le dispositif français ne permet ni n’envisage de faire.

– La première réponse serait de ne pas laisser des loups apprendre à fonctionner sur les troupeaux domestiques. Le renforcement des mesures de protection ne suffit pas. C’est la principale leçon de l’échec français. La prédation est une interaction entre deux partis. Avec la protection des cheptels, il y a obligation à se confronter à l’animal, à interagir avec lui pour lui signifier des limites, la frontière d’un territoire –celui de l’éleveur avec son troupeau– qu’il ne devra plus franchir quand ces derniers s’y trouvent. Cela suppose de disposer d’un dispositif technique immédiat, systématique et réfléchi utilisant les hommes sur place, les chiens et les tirs de défense (situation de défense légitime) ; avec une équipe d’intervention mobilisable sur un simple coup de fil pour accompagner les éleveurs (car ce n’est pas leur métier) en situation avec des moyens adaptés pour interagir de manière agressive si besoin, de façon systématique et à chaque tentative d’attaque, pour obliger le prédateur à renoncer et à éviter les lieux par la suite.

Il s’agit au moment de l’attaque de casser la persistance acquise de la vulnérabilité du système d’élevage et du mouton pour le prédateur, renforcée par chaque attaque réussie. C’est dans cette interaction prédateur/proie complexe que réside la possibilité de la contrarier pour l’humain, en s’y confrontant, par une gradation agressive du stress et un risque de blessure auxquels le comportement du loup est très sensible pendant l’attaque (risque pour sa vulnérabilité de prédateur -être gravement blessé ou tué- quand la proie a appris à résister). Ce que permet la capture[1] non létale. Avec la télémétrie, c’est une technique à effet systémique en termes de connaissances et de capacités d’action en temps réel, ce dont la société a justement besoin pour protéger l’élevage.

Le contrôle létal par le tir devient alors possible, autorisé une fois l’animal rétif, responsable d’attaques ou à fortiori de dommages chroniques, identifié et suivi. Ce que permet le statut de l’espèce. Ce dispositif technique n’est toutefois pas envisagé dans ce 4e PNLoup.

– La « priorité absolue » vantée comme le deuxième objectif du gouvernement, s’apparente-t-elle juste à des mots dans un communiqué ? Aucun objectif, ni disposition, ni moyen n’est posé dans le plan pour répondre à la première demande des éleveurs : limiter les dommages, réduire les conflits, et restaurer la confiance dans les capacités des autorités à les protéger dans l’exercice de leur profession.

Une « priorité absolue », non ? S’il s’agit d’apprendre à cohabiter avec un grand prédateur protégé, le préalable est de ne pas accepter les individus qui gênent la société et d’être en mesure de contrôler les situations qu’ils imposent. Ce serait d’agir prioritairement sur cette réalité devenue insupportable (9 000 bêtes indemnisées en 2015 avec 116-142 loups et 30 meutes, plus de 10 000 en 2016…), pour réduire drastiquement ce nombre pour la rendre supportable, quand dans le même temps, le ministre annonce un « objectif non négociable » d’une population viable demain d’au moins 500 loups. Et d’en faire le premier objectif du plan. Il n’est pas conçu pour favoriser les conditions de vie du loup –l’espèce hautement adaptable, ni sensible ni fragile, n’en a pas besoin– mais prioritairement pour améliorer la cohabitation entre les loups et les humains en réduisant les conflits au minimum.

Sans la rigueur, la cohérence d’une robuste expertise scientifique et technique, un dispositif de suivi et de gestion adapté –ce plan est décidément très loin des standards internationaux requis pour cohabiter avec une population viable de loups– le discours du ministre sur la « cohabitation avec la grande faune » revient à une incantation morale et politique incompréhensible, une injonction contradictoire en forme de « double contrainte », une forme de pensée magique « schizophrénique et terrifiante à la fois » : la biodiversité, c’est formidable. Vous n’avez qu’à vivre avec, et supporter l’intranquillité permanente, la violence, le désespoir et la souffrance qu’elle génère ! C’est le tribut que la société doit payer pour atteindre « nos engagements pour la biodiversité ». C’est l’objectif que je nous assigne.

Comment imaginer dans ces conditions que l’accord et l’acceptabilité sociale soient un jour au rendez-vous ? Au lieu de miser sur les joies d’une réussite possible, là où tous les ministres et tous les gouvernements précédents ont échoué, en évitant que les conflits épisodiques avec l’élevage ne deviennent chroniques.

Vivre durablement avec une population rétablie de loups suppose de savoir changer les rapports avec la réalité violente, oppressante, désespérante, morbide et insupportable pour les éleveurs exposés, que cette population est susceptible d’imposer à la société, quand elle choisit d’entrer en conflit récurrent avec l’élevage. C’est la condition d’une cohabitation supportable et acceptable. Voici le véritable « défi de civilisation » auquel le PNLoup 2018, le quatrième du nom, est tenu. Et c’est votre responsabilité, Monsieur le ministre, de vous engager à réussir. Pour cela une autre ambition scientifique est nécessaire. La réalité de la biologie et du comportement, l’intelligence et la force de l’espèce vous y obligent : régler d’abord les situations générées par les animaux à problèmes qui gênent la société, et mobiliser expertise, science et ingénierie écologique pour le faire.

Dans la perspective de conservation d’une espèce difficile, il n’est pas possible de tenir ses engagements en laissant des discours et un vent de frayeur accompagner explicitement (ou pas) toute prise de décisions. On ne peut pas protéger une espèce face à une opinion indécise. La réalité du danger de relativiser les convocations de peur ancestrale, comme celle de la dévoration, conduit à mettre en péril les engagements de conservation d’un prédateur. Dès lors, toute situation doit absolument être réversible. Il est fondamental d’avoir les gens et les techniques pour agir sur un changement effectif d’une situation conflictuelle, et ainsi éviter qu’elle ne devienne chronique. Et depuis 25 ans, la France ne les a pas, le roi et les princes sont nus.

La peur du changement dans l’opinion publique rurale à propos de l’effort de conservation du loup est aussi importante à prendre en compte. Si le changement d’opinion des gens est nécessaire pour un retour durable du loup, l’on doit accepter un temps une forme d’indécision de l’opinion avec la persistance d’une image négative de l’animal, qu’elle soit avérée ou non. L’important, c’est de reconnaître qu’elle existe, le temps que les représentations négatives se transforment par une expérience supportable du vivre avec l’animal. C’est le préalable –et à ce titre ce devrait être la première priorité du plan– non « négociable » : restaurer la confiance des éleveurs dans les capacités des autorités à les protéger. Ne pas se tromper… Inverser les priorités, s’il est encore temps.

[1] Par l’utilisation du piégeage et de la télémétrie, il s’agit de capturer au plus vite quand les loups sont présents, en situation d’attaque ou immédiatement après, pour sortir du registre de l’émotion, de la colère, de l’échec ou de l’impuissance, et se situer dans celui de la raison, du droit et de l’action autorisée pour influencer le comportement de l’animal ou de la meute (générer un comportement d’évitement) ou le (la) neutraliser en cas de dommages chroniques ou récurrents. D’accompagner l’éleveur, de mettre fin à son intranquillité permanente, d’être enfin en capacité de le protéger dans l’exercice de sa profession.

JJB, le 10/01/2018, pour l’Association Houmbaba.