Réponse Houmbaba : Ses effectifs sont à mettre en relation avec des changements profonds intervenus, en un siècle, dans les territoires et la société : rétablissement des forêts et des populations de grands ongulés, désertification des campagnes et urbanisation de la population, protection de l’espèce, création d’aires protégées…
S’il est de retour, il a aussi beaucoup reculé, comparé à sa répartition aux 18e et 19e siècles en France.
Un effectif de 250 loups (chiffre officiel en 2012/2013) le situe dans le critère reconnu au plan international par l’UICN, comme rare et menacé en France. Quoi qu’en progression constante depuis 20 ans, ce chiffre signifie toutefois que l’espèce reste rare sur le territoire français, et en Europe de l’Ouest.
Questions : quel est le système de comptage ? Et est-il fiable ?
De comptage à proprement parler, il n’en existe pas. Comme il est impossible de connaître l’effectif exact de la population française du canidé par dénombrement direct, on a recours à différentes techniques[1] de recueil d’informations. Elles aboutissent, après analyse par le réseau Loup/Lynx de l’ONCFS, à des indicateurs de présence : nombre de communes avec détection régulière (au moins trois indices « validés » au cours des deux dernières années), zones de présence « permanente » ou ZPP (une fois seulement la présence attestée par des analyses génétiques et durant deux années consécutives), et effectif minimal retenu ou EMR (c’est-à-dire la somme du nombre minimum de loups détectés sur chaque ZPP).
Une méthode par modélisation mathématique de suivi démographique de la population s’applique aujourd’hui à une « forme virtuelle de marquage/recapture[2] », par suivi de la détection des signatures génétiques dans les excréments de loups (considérées comme un marquage indirect des individus) sans avoir besoin de les capturer[3].
Voilà bien résumés la « science » et le savoir-faire français sur le loup : plus simple de capturer des crottes que des loups ! Là où dans l’Idaho, en 2013, 70 loups sont capturés la même année et marqués d’un collier émetteur (sur 112 marqués et suivis au total) dans le cadre d’un dispositif pérenne -mobilisant aussi les analyses génétiques- de suivi de la population (659 individus estimés sur 110 000 km2) depuis 1996, année de la réintroduction de 35 individus. Comme si le champ disciplinaire de la génétique et de la modélisation pouvait se substituer à la nécessité de connaître et de suivre d’abord la réalité biologique et comportementale de la population de « loups français ». Voici comment depuis 20 ans, des éléments de savoir, permettant de décrire un phénomène utile en soi, prétendent couvrir une réalité analogue mais qui n’est pas la réalité d’une population de loups (statut, distribution, reproduction, mortalité, éthologie…) selon les standards internationaux. Se souvenir des mots de D. Mech : « le loup est d’abord convocation et affrontement de croyances ». C’est la mobilisation de différentes disciplines -et de toutes les techniques connues- qui est en mesure de produire les savoirs nécessaires, jamais aboutis, sur une population de loups. Malgré leurs capacités d’innovation et la pluralité de techniques utilisées depuis 40 ans, les scientifiques américains n’arrivent pas à tout savoir sur le loup.
Si le statisticien travaille face à l’homme de terrain, et avec lui, il a besoin de lui comme du biologiste et du trappeur, sans rapport d’autorité ou de hiérarchie, pour objectiver avec les techniques requises les informations que les hommes de terrain apportent. Techniques nécessaires aux standards et critères d’un suivi partagé et qui sont propres à sa discipline. Mais le loup est là, et cela ne se discute pas. La réalité du loup est perfection, il est donc impossible de travailler seul, à fortiori dans le secret, sur un grand carnivore, ubiquiste, invisible et social.
Quant à la seconde question, la réponse est non, de moins en moins. Car assimiler le front de colonisation des « loups français » -les ZPP- au front des attaques sur les troupeaux domestiques ne correspond pas à la réalité biologique et comportementale d’occupation du territoire par l’espèce : avec une proportion de la population présumée (12,5 %, Mech et Boitani, 2003[4], p.170) correspondant à des individus solitaires, avec l’existence de « groupes » et de meutes non reproductrices[5] -à partir de deux individus, deux sœurs, deux frères, un frère et une sœur… – non détectées en l’absence d’attaque, de techniques de détection adaptées, d’observateurs, de correspondants, ou de reconnaissance des indices et témoignages recueillis.
Enfin la colonisation en cours de vastes régions (Aube, Aude, Ardèche, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Gard, Gers, Haute-Loire, Hérault, Limousin, Meuse, Touraine, Vaucluse, Var…) au climat plus clément, sans enneigement régulier, rend la technique des EMR de moins en moins pertinente.
Le nombre de ZPP et l’EMR utilisés jusqu’à présent comme un « bon indicateur démographique » de l’espèce voient leur fiabilité aujourd’hui remise en question. (Dans l’Idaho, la distribution des loups est suivie en utilisant la capture et la pose de colliers émetteurs, les investigations de terrain par les équipes techniques et scientifiques, et les observations du public obtenues par un dispositif en ligne[6]).
Toutefois, en l’absence de neige, une seule technique reste possible en complément du dispositif existant : la détection, le pistage et la capture scientifique par « hole trapping », limitée au printemps et à l’automne pour exclure fortes chaleurs et grands froids afin d’éviter tout risque de blessure à l’animal capturé. Cette technique est utilisée en Allemagne, en Italie, en Espagne… et en Amérique du Nord où elle a été expérimentée et utilisée depuis plus de trente ans. Ce savoir-faire existe aussi en France depuis 2006 sans avoir jamais été utilisé.
Dès lors, il est surprenant de constater que le dispositif français soit présenté comme « l’un des meilleurs en Europe » par le Dr. O. Liberg[7], alors qu’il pointe l’impossibilité de « disposer d’estimation viable dans des zones colonisées sans neige », que « sans EMR, des estimations CMR actualisées ne peuvent plus être déduites », que le « système actuel est adapté pour détecter la présence permanente de loups dans de nouvelles zones », quoiqu’en l’absence de réseau d’informateurs, donc sans collecte de données organisées possibles ni dispositif de détection adhoc.
Plus surprenant encore, l’auteur, spécialiste du suivi et des interactions du loup avec les activités humaines[8] (surtout la chasse à l’élan) en Suède et Scandinavie, un pays avec six mois de neige, est d’abord un utilisateur de la capture scientifique et du suivi par télémétrie pour étudier (distribution, abondance, démographie, mortalité…) et gérer la population de loups dans son pays (pays à la culture de l’intrus qui développe une stratégie de contrôle de la population en autorisant le tir d’un pourcentage de loups chaque année). Cependant, il reste muet sur les apports majeurs possibles de cette technique -utilisée dans tous les pays d’Europe confrontés au retour du loup- dans le dispositif français en l’absence d’études engagées depuis 20 ans sur la biologie et l’écologie comportementale de la population de loups, sur l’absence de moyens de surveillance et de contrôle efficace -y compris intrusifs- des « loups à problèmes[9] », compte tenu du taux de prédation, l’un des plus importants au monde, sur les troupeaux. Comme s’il s’agissait là d’un critère et d’un indicateur sans intérêt ni signification sur les interactions « activités humaines/animal » dans l’évaluation d’un dispositif de suivi d’une population de loups en pleine expansion, dans une des principales puissances agricoles mondiales et un bastion de l’élevage en Europe. « Un diagnostic, peut-on lire dans le rapport, qui nous conforte (c’est le commanditaire qui parle) dans la stratégie déployée ». Difficile de trouver vanité plus confondante.
Il suffit d’écouter les témoignages de ceux qui vivent hors ZPP justement, pour savoir que l’on ne sait pas vraiment combien il y a de loups. Mais qu’ils sont bien là ! Aux yeux des services, ces loups… n’existent tout simplement pas, tant qu’ils vivent « sans faire d’histoire ». Et pourtant, ils sont là, nonobstant le silence des autorités. Qui peut encore les croire dès lors ? Car ce qui se passe dans les zones colonisées est d’abord l’apanage de ceux qui y habitent, y travaillent et de ce qu’ils voient. Cela ne peut souffrir aucune discussion. Pour savoir s’il y a du loup, il suffit de faire parler et de savoir écouter les hommes, à la condition toutefois… d’avoir leur confiance !
>> Or, il s’écoule généralement trois à quatre ans[10], voir plus, entre les premiers témoignages d’un territoire colonisé, les premiers signes de détection en l’absence d’attaque, et l’hypothétique désignation par l’administration en zone de présence permanente. Une situation incompréhensible qui suscite la suspicion et la défiance des éleveurs, car elle revient à attendre les attaques avant d’agir[11]. Un temps précieux est perdu, pendant lequel le (les) individu(s) présent(s) ou la meute est(sont) susceptible(s) de passer à l’attaque au lieu d’être mis à profit par la société pour agir avant le loup : détecter, prévenir, accompagner et s’attacher à résoudre immédiatement les risques de conflits possibles avec l’élevage. Car pour le prédateur, une première attaque réussie signifie qu’il y en aura d’autres !
Rien d’étonnant à ce que des taux de prédation « exubérants » sur les troupeaux soient devenus avec le temps, la « marque de fabrique » du dispositif français… De telles « déprédations » caractéristiques de « surplus killing » s’apparentent de fait à une destruction. Il est donc normal que cette menace suscite la colère des éleveurs dans la mesure où aucun dispositif de contrôle, y compris intrusif ou létal, n’existe pour le prévenir et le réduire.
>> Le problème du chiffre annoncé, c’est aussi celui du débat politique qui va avec : à plus de 300 loups (estimation en 2013), le statut UICN de l’espèce va changer. Mais justement, personne n’a les moyens ou n’est en mesure de dire ce que cela signifie pour les usagers dans les territoires, de vivre avec 300, 1000 ou… 2000 loups. Quand les 250 « loups français » tuent et se voient attribuer 6102 animaux domestiques[12] pour 1874 attaques de troupeaux en 2012. Les craintes et les peurs sont légitimes et doivent être entendues, tant que la protection des élevages ne sera pas mieux assurée.
De grands carnivores qui font peur, des animaux invisibles, élusifs et potentiellement dangereux, ne se gèrent pas dans le secret mais en démontrant une capacité à agir sur le phénomène dès lors que des animaux entrent en conflits avec des activités humaines. On ne peut laisser des habitants continuer à avoir peur et seul avec leur peur. Si l’on veut protéger un animal qui fait peur, on doit s’évertuer à traiter les aspects de cette peur…
[1] Estimation de l’effectif hivernal des meutes (nombre maximal de pistes relevées simultanément dans la neige, ou nombre de loups observés) et au moins à deux reprises ; suivi estival (technique du rappel du 1er août au 15 septembre) pour apprécier le succès de reproduction ; et analyse génétique des profils individuels.
[2] Lombardi A. 2013. Loup y est-tu ? La répartition du loup en France. Le Courrier de la Nature Spécial loup, n° 278, p. 20-27.
[3] A l’origine, méthode mathématique dite de « capture/marquage/recapture » (CMR) basée sur l’individualisation d’un certain nombre d’animaux après capture, marquage et recapture permettant d’estimer l’effectif d’une population. « La capture réelle des loups est un exercice difficile, c’est pourquoi la méthode « capture- marquage-recapture » se base sur la « capture » et sur le marquage génétique des excréments plutôt que des individus eux-mêmes » (A. Lombardi, op.cit).
[4] Mech D. L. and L. Boitani, 2003. Wolves : behavior, ecology and conservation. The University of Chicago Press, Illinois.
[5] Il existe aussi des meutes sans territoire. Et quelle est la viabilité d’une meute si elle ne se reproduit pas, sa composition ? Autant de questions auxquelles le dispositif de suivi actuel est incapable de répondre faute d’utiliser la seule technique pour le faire, la capture scientifique.
[6] IDFG and Nez Perce Tribe, 2014, p. 7, cf. infra.
[7] Rapport d’une mission d’expertise relative à l’évaluation du système de suivi (2008-2012) de la population de loups, commandée à l’UICN par le Ministère de l’Ecologie, 2013.
[8] Le Dr. Olof Liberg est directeur de recherche du Département d’Ecologie de la Swedish University of Agricultural Science.
[9] Individus responsables des dommages aux troupeaux.
[10] En Cévennes, 5 loups observés en 2004 à trois reprises, aucune ZPP et dispositif d’étude ou de suivi en place (sur le territoire d’un Parc national qui plus est) 10 ans plus tard.
[11] C’est bien « l’explosion du nombre d’attaques et des pertes par rapport à la situation antérieure qui est le premier indicateur de l’arrivée des loups, avant que le premier hiver ne permette d’en repérer les traces dans la neige ». Garde L. coordination 2013, p.55. Protection des troupeaux contre la prédation ; techniques pastorales, CERPAM-OIER SUAMME-ADEM-DDTM-IDELE, Ed. Cerpam-Cardère éditeur, 310 p.
[12] Au total, ce sont 1874 attaques et 6102 victimes indemnisées au titre du loup pour l’année 2012 pour un montant de 1 935 880,96 €.
http://www.loup.developpement-durable.gouv.fr/spip.php?article39
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