Partagez avec la société votre envie et votre joie de réussir à cohabiter avec les loups français…
Au lieu de ça, le même discours et la même politique que tous vos prédécesseurs depuis 20 ans,
Une injonction morbide, sans pensée ni vision…
Et sans solution pour le faire !
1- Le discours
Une communication politique loin des réalités de la vie avec, sans science ni conscience, sans raison ni rigueur… Une injonction morale, empreinte de religiosité, de souffrance, de mort et de tristesse. Pour relever ce qui nous est présenté comme un « défi de civilisation » : cohabiter avec la grande faune et vivre avec 500 loups d’ici la fin du quinquennat. Car ce n’est pas « négociable ». La belle affaire. Encore faudrait-il apprendre, savoir et mobiliser pour réussir à le faire.
Et rompre avec ce discours de désespoir, de souffrance et de mort qui accompagne le retour du loup depuis 25 ans en France ! « Aux éleveurs, je demande d’accepter d’en payer le prix (plus de 10 000 animaux tués et indemnisés en 2016 avec 190 loups –effectif moyen détecté– ou 360 –chiffre cité par le ministre, d’après modèle– et combien avec 500 loups bien vivants cette fois ?), et aux protecteurs de la nature, une « campagne d’abattage » de 40 loups/an, une simple vengeance aléatoire pour leur apprendre à vivre. N’ayez crainte puisque je vous le dis, la biodiversité c’est formidable, c’est notre « engagement ». Je vous demande juste de la supporter et de vivre avec, comme on demande aux pays africains de vivre avec leurs lions. »
Monsieur le ministre, la biodiversité, ce n’est pas ça, une injonction et votre triste discours. C’est la gastronomie, un art de vie à la française, des paysages naturels, le « chez soi des animaux », le sauvage, des vivants non humains dont on ignore les forces et les pouvoirs, et qui ne nous demandent pas notre avis, de l’inattendu et de l’impensé… D’abord une sensation et une émotion, une relation, une joie et une expérience qui valent d’être vécues. Pas ce dont vous nous parlez.
Cette triste réalité, c’est le résultat du dispositif de suivi et de gestion français du loup en vigueur depuis 2003, la politique de tous les gouvernements qui vous ont précédé et qui ont échoué. Vous nous proposez quoi pour en changer et partager avec la société l’envie et la joie enfin, de réussir à cohabiter avec les loups français ? Et comment fait-on pour vivre avec au quotidien ? Vous proposez quoi ? Je crains qu’une citation fût-elle de Gandhi n’y puisse suffire, pas plus que ce 4e plan qui se trompe de priorités. Vivre avec la biodiversité, c’est en faire quelque chose de positif, et d’abord pour les éleveurs. Ce sont eux qui sont « assignés » à vivre avec au quotidien.
2- Les deux objectifs et les principales dispositions du PNLoup (communiqué AFP)
« Le gouvernement se fixe un double objectif, le premier c’est d’assurer la viabilité, pour l’instant incertaine de l’espèce sur le territoire, c’est un objectif non négociable ».
« Le nombre actuel, 360, bientôt sans doute 400, est encore insuffisant, et nous visons au moins 500 avant la fin du quinquennat, conformément à nos engagements pour la biodiversité ».
« Le deuxième objectif, à parité avec le premier, est la protection des éleveurs et des troupeaux », a-t-il ajouté, évoquant une « priorité absolue » dans le « renforcement des mesures de protection ».
« S’agissant du nombre de tirs de prélèvements (abattages) de loups autorisés chaque année, il se base sur des préconisations scientifiques : qu’ils ne dépassent pas 10% de la population » (les 40 individus/an mentionnés par NH dans son intervention).
« On ne peut exiger des pays africains qu’ils protègent leurs lions si nous-mêmes en France, on n’est pas capable de cohabiter avec le loup et l’ours. C’est un défi de civilisation que se propose de relever ce plan ».
Les principales dispositions :
1- Former les éleveurs à conduire des chiens de protection.
2- Mieux comprendre le loup pour mieux protéger les troupeaux.
3- Des éleveurs indemnisés à la condition que les mesures de protection des troupeaux soient en place.
4- Une « campagne de tirs » calée sur l’année civile (1e janvier au 31 décembre au lieu du 1e juillet au 30 juin de l’année suivante).
3- Commentaires
La question n’est pas de satisfaire une vengeance aléatoire, sacrificielle, et de tuer au hasard 40 loups strictement protégés/an, au prétexte illusoire de « prévenir des dommages importants à l’élevage ». C’est une allégation mensongère, sans fondement scientifique, dans la mesure où pour être efficace, le tir doit viser l’animal responsable des attaques récurrentes. Ce que le dispositif français ne permet ni n’envisage de faire.
– La première réponse serait de ne pas laisser des loups apprendre à fonctionner sur les troupeaux domestiques. Le renforcement des mesures de protection ne suffit pas. C’est la principale leçon de l’échec français. La prédation est une interaction entre deux partis. Avec la protection des cheptels, il y a obligation à se confronter à l’animal, à interagir avec lui pour lui signifier des limites, la frontière d’un territoire –celui de l’éleveur avec son troupeau– qu’il ne devra plus franchir quand ces derniers s’y trouvent. Cela suppose de disposer d’un dispositif technique immédiat, systématique et réfléchi utilisant les hommes sur place, les chiens et les tirs de défense (situation de défense légitime) ; avec une équipe d’intervention mobilisable sur un simple coup de fil pour accompagner les éleveurs (car ce n’est pas leur métier) en situation avec des moyens adaptés pour interagir de manière agressive si besoin, de façon systématique et à chaque tentative d’attaque, pour obliger le prédateur à renoncer et à éviter les lieux par la suite.
Il s’agit au moment de l’attaque de casser la persistance acquise de la vulnérabilité du système d’élevage et du mouton pour le prédateur, renforcée par chaque attaque réussie. C’est dans cette interaction prédateur/proie complexe que réside la possibilité de la contrarier pour l’humain, en s’y confrontant, par une gradation agressive du stress et un risque de blessure auxquels le comportement du loup est très sensible pendant l’attaque (risque pour sa vulnérabilité de prédateur -être gravement blessé ou tué- quand la proie a appris à résister). Ce que permet la capture[1] non létale. Avec la télémétrie, c’est une technique à effet systémique en termes de connaissances et de capacités d’action en temps réel, ce dont la société a justement besoin pour protéger l’élevage.
Le contrôle létal par le tir devient alors possible, autorisé une fois l’animal rétif, responsable d’attaques ou à fortiori de dommages chroniques, identifié et suivi. Ce que permet le statut de l’espèce. Ce dispositif technique n’est toutefois pas envisagé dans ce 4e PNLoup.
– La « priorité absolue » vantée comme le deuxième objectif du gouvernement, s’apparente-t-elle juste à des mots dans un communiqué ? Aucun objectif, ni disposition, ni moyen n’est posé dans le plan pour répondre à la première demande des éleveurs : limiter les dommages, réduire les conflits, et restaurer la confiance dans les capacités des autorités à les protéger dans l’exercice de leur profession.
Une « priorité absolue », non ? S’il s’agit d’apprendre à cohabiter avec un grand prédateur protégé, le préalable est de ne pas accepter les individus qui gênent la société et d’être en mesure de contrôler les situations qu’ils imposent. Ce serait d’agir prioritairement sur cette réalité devenue insupportable (9 000 bêtes indemnisées en 2015 avec 116-142 loups et 30 meutes, plus de 10 000 en 2016…), pour réduire drastiquement ce nombre pour la rendre supportable, quand dans le même temps, le ministre annonce un « objectif non négociable » d’une population viable demain d’au moins 500 loups. Et d’en faire le premier objectif du plan. Il n’est pas conçu pour favoriser les conditions de vie du loup –l’espèce hautement adaptable, ni sensible ni fragile, n’en a pas besoin– mais prioritairement pour améliorer la cohabitation entre les loups et les humains en réduisant les conflits au minimum.
Sans la rigueur, la cohérence d’une robuste expertise scientifique et technique, un dispositif de suivi et de gestion adapté –ce plan est décidément très loin des standards internationaux requis pour cohabiter avec une population viable de loups– le discours du ministre sur la « cohabitation avec la grande faune » revient à une incantation morale et politique incompréhensible, une injonction contradictoire en forme de « double contrainte », une forme de pensée magique « schizophrénique et terrifiante à la fois » : la biodiversité, c’est formidable. Vous n’avez qu’à vivre avec, et supporter l’intranquillité permanente, la violence, le désespoir et la souffrance qu’elle génère ! C’est le tribut que la société doit payer pour atteindre « nos engagements pour la biodiversité ». C’est l’objectif que je nous assigne.
Comment imaginer dans ces conditions que l’accord et l’acceptabilité sociale soient un jour au rendez-vous ? Au lieu de miser sur les joies d’une réussite possible, là où tous les ministres et tous les gouvernements précédents ont échoué, en évitant que les conflits épisodiques avec l’élevage ne deviennent chroniques.
Vivre durablement avec une population rétablie de loups suppose de savoir changer les rapports avec la réalité violente, oppressante, désespérante, morbide et insupportable pour les éleveurs exposés, que cette population est susceptible d’imposer à la société, quand elle choisit d’entrer en conflit récurrent avec l’élevage. C’est la condition d’une cohabitation supportable et acceptable. Voici le véritable « défi de civilisation » auquel le PNLoup 2018, le quatrième du nom, est tenu. Et c’est votre responsabilité, Monsieur le ministre, de vous engager à réussir. Pour cela une autre ambition scientifique est nécessaire. La réalité de la biologie et du comportement, l’intelligence et la force de l’espèce vous y obligent : régler d’abord les situations générées par les animaux à problèmes qui gênent la société, et mobiliser expertise, science et ingénierie écologique pour le faire.
Dans la perspective de conservation d’une espèce difficile, il n’est pas possible de tenir ses engagements en laissant des discours et un vent de frayeur accompagner explicitement (ou pas) toute prise de décisions. On ne peut pas protéger une espèce face à une opinion indécise. La réalité du danger de relativiser les convocations de peur ancestrale, comme celle de la dévoration, conduit à mettre en péril les engagements de conservation d’un prédateur. Dès lors, toute situation doit absolument être réversible. Il est fondamental d’avoir les gens et les techniques pour agir sur un changement effectif d’une situation conflictuelle, et ainsi éviter qu’elle ne devienne chronique. Et depuis 25 ans, la France ne les a pas, le roi et les princes sont nus.
La peur du changement dans l’opinion publique rurale à propos de l’effort de conservation du loup est aussi importante à prendre en compte. Si le changement d’opinion des gens est nécessaire pour un retour durable du loup, l’on doit accepter un temps une forme d’indécision de l’opinion avec la persistance d’une image négative de l’animal, qu’elle soit avérée ou non. L’important, c’est de reconnaître qu’elle existe, le temps que les représentations négatives se transforment par une expérience supportable du vivre avec l’animal. C’est le préalable –et à ce titre ce devrait être la première priorité du plan– non « négociable » : restaurer la confiance des éleveurs dans les capacités des autorités à les protéger. Ne pas se tromper… Inverser les priorités, s’il est encore temps.
[1] Par l’utilisation du piégeage et de la télémétrie, il s’agit de capturer au plus vite quand les loups sont présents, en situation d’attaque ou immédiatement après, pour sortir du registre de l’émotion, de la colère, de l’échec ou de l’impuissance, et se situer dans celui de la raison, du droit et de l’action autorisée pour influencer le comportement de l’animal ou de la meute (générer un comportement d’évitement) ou le (la) neutraliser en cas de dommages chroniques ou récurrents. D’accompagner l’éleveur, de mettre fin à son intranquillité permanente, d’être enfin en capacité de le protéger dans l’exercice de sa profession.
JJB, le 10/01/2018, pour l’Association Houmbaba.