Par Catherine Calvet — 17 août 2018
« Pour le loup, c’est l’éleveur qui vit sur son territoire et non l’inverse »
Selon Antoine Nochy, chasseur, éleveur et pisteur, le loup est un prédateur supérieur, doté d’une grande faculté d’adaptation, comparable à l’homme.
Antoine Nochy vit dans les Cévennes, il est éleveur, chasseur et surtout pisteur. Il raconte son expérience dans plusieurs pays d’Europe et aux Etats-Unis dans la Bête qui mangeait le monde (1). Et il propose des «pistes» pour une coexistence entre les deux prédateurs supérieurs que sont le loup et l’homme.
Libération: Le débat sur les loups en France est tendu…
Antoine Nochy : Le débat est surtout incomplet, il manque un personnage crucial : le loup. Il y a une méconnaissance à son sujet. La transmission des savoirs s’est interrompue à un moment donné. On s’est coupé de l’expérience des anciens. Les traces d’une présence passée du loup sont pourtant partout. Mais elles n’ont plus de sens pour les contemporains. Le loup est inscrit dans nos cadastres : c’est ce qu’on appelle les loubières, c’était à la fois la tanière du loup et, par extension, les lieux où ils évoluaient. La toponymie nous indique clairement où étaient les loups : La Colle-sur-Loup, Louvières… Le loup a un territoire très étendu : près de 200 kilomètres carrés. Et il n’y a qu’une seule meute de loups par territoire. Si on ne peut plus les éradiquer, le plus simple est d’essayer de circonscrire des endroits réservés. Et surtout, nous devrions tous échanger les informations sur la présence du loup, sur son observation. Les éleveurs comme les écologistes, mais aussi les pouvoirs publics. Le loup est imprévisible et insaisissable : la plupart des meutes sont sédentaires, mais certaines sont nomades. Même les meutes sédentaires ne cessent de se déplacer sur le territoire qui est le leur. C’est un prédateur supérieur, comme l’homme, il s’adapte constamment. Je le définirais comme un animal social, voyageur et tueur.
L : Vous comparez souvent le loup à l’homme…
AN : Certaines thèses anthropologiques parlent d’ailleurs du loup comme un singe-homme. Hommes et loups ont une dynamique collective et prédatrice. Le loup a toutes les caractéristiques du prédateur supérieur, comme les requins, les ours ou les lions, il n’est pas spécialisé sur une proie et il va réguler lui-même sa population. C’est ainsi qu’il vit dans une double agressivité : face à ses congénères, et face à l’homme qui est un concurrent. La guerre entre l’homme et le loup est très ancienne.
L : Vous côtoyez vous-même le loup dans les Cévennes…
AN : Je vis à côté d’une meute de cinq loups, elle s’est probablement constituée en 2003 ou 2004. Mais les premiers problèmes ne sont arrivés qu’en novembre 2016. Avant ? Ils nous observaient. Il y a peu, dans mon village, une vieille vache a été attaquée juste après avoir vêlé. Il savait que cette vache n’était plus en état de se défendre. Il l’a choisie parmi un troupeau de dix-sept. Et il l’a préférée à des agneaux qui étaient gardés par plusieurs chiens et un berger. Une fois qu’ils ont commencé à attaquer et que cela a marché, ils ne cessent jamais. Pour le loup, c’est l’éleveur qui vit sur son territoire, pas l’inverse. On se focalise souvent sur une fragilité du loup, on veut le protéger, lutter contre sa disparition, sans prendre en compte son immense adaptabilité.
L : Quand le loup attaque-t-il les élevages ?
AN : Le loup préfère manger des animaux sauvages. Quand il attaque ou quand il «sort du bois», c’est souvent le résultat de mois ou même d’années d’observation. Mais comme nous avons perdu notre culture lupine, nous ignorons que lorsque le loup s’attaque aux troupeaux, c’est qu’il n’y a plus rien à manger, plus de gibier. Or, c’est aussi de mauvais augure pour l’homme. Dans le passé, c’était le début de la pauvreté, voire des disettes. C’est dans ce contexte qu’il attaquait le bétail, mais aussi les humains affaiblis. Nous avons suivi un modèle de régulation suédois qui préconise la chasse quand le loup attaque. Mais il faut intervenir avant. Il y a parfois une dizaine d’années entre l’arrivée du loup et les premières attaques. Et quand il attaque, il est déjà trop tard. Surtout, l’élevage intensif extensif, un maximum de bêtes pour un minimum de présence humaine, favorise les attaques de loups. Or, les bergers sont le seul rempart entre les loups et les moutons. Mais les éleveurs ont des problèmes économiques bien plus importants que les loups : la plupart des élevages ne dégagent que 300 euros de bénéfices par an…
L : Vous êtes aussi pisteur aux Etats-Unis ?
AN : Le travail de pisteur est ce qui m’intéresse le plus. Les Américains attrapent jusqu’à 150 loups par an. C’est très utile, un loup capturé n’attaquera plus jamais les troupeaux. Et sa meute va fonctionner de façon analogue une fois qu’il la rejoint, donc le gain est double. Je recommande l’usage de la capture depuis 2004. Ne laissons pas les éleveurs seuls. L’Etat leur doit au moins la protection. Le loup est un marqueur du sauvage dans des milieux où il n’y a plus de sauvage.
(1) Ed. Arthaud, mars 2018.
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