De gauche à droite et de haut en bas :
Articles parus dans le Figaro magazine du 15 au 21/04/2018 et dans le Midi libre du 26/04/2018
Article paru dans le Canard Enchaîné le 16/05/2018
Article paru dans Sud Ouest le 13/05/2018
Florian Bardou – Libération – mercredi 4 avril 2018
Originaire d’Europe du Sud-Est, ce petit carnivore a été aperçu à plusieurs reprises par des chasseurs et protecteurs de l’environnement de Haute-Savoie ces derniers mois. Des observations ponctuelles confirmées par l’ONCFS.
On le dit semblable à un petit loup. D’une cinquantaine de centimètres au garrot et doté d’un museau pointu, le chacal doré (canis aureus, de son nom latin) ressemble plutôt à un gros renard. Mais contrairement à ces deux canidés emblématiques de la faune française, le chacal doré, dont l’aire de répartition historique s’étend des Balkans au sous-continent indien, n’avait jamais été remarqué à l’ouest des Alpes. Du moins jusqu’à cet été. Ce petit prédateur «opportuniste» avait en effet été photographié à trois reprises dans le Chablais par des chasseurs et des protecteurs de la nature de Haute-Savoie.
Dernières en date, les photos en couleur de la Fédération Rhône-Alpes de la protection de la nature (Frapna) montrent le canidé en train de renifler la terre près d’une souche, à la belle étoile. «On savait que la fédération de chasse avait pris quelques clichés quelques mois plus tôt d’au moins un individu», abonde Christophe Gilles, mammalogiste de la Frapna. Et le naturaliste sait de quoi il parle puisqu’il a déjà observé l’animal à l’étranger. «Le chacal est une bestiole discrète et nocturne. On peut le confondre avec un loup à cause de son pelage d’hiver. Mais avec des photos en couleur et après des mesures, pas de doute : il s’agit bien d’un spécimen de cette espèce», explique-t-il.
Ses observations, obtenues grâce à des pièges-photo pour la surveillance du loup et du lynx, ont cette fois été «validées» par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui confirme d’ailleurs à Libération la présence d’au moins un spécimen en France. «Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a qu’un seul, qu’il se soit établi ou qu’il va s’établir tout de suite», précise Murielle Guinot-Ghestem, responsable de l’unité «prédateurs-animaux déprédateurs» de cet organisme.
La dynamique d’expansion naturelle de l’espèce vers le nord et l’ouest de l’Europe depuis un demi-siècle fait cependant dire aux spécialistes du canidé qu’il y a de grandes chances qu’on le considère à l’avenir comme une espèce autochtone. «Est-ce que cela se fera dans les années ou les décennies à venir ? Pour l’instant, on ne peut pas le savoir, poursuit Murielle Guinot-Ghestem. Le chacal est une espèce très adaptable avec une prédilection pour les zones humides et agricoles. Son régime alimentaire et son comportement étant comparables à ceux du renard, il ne va pas bouleverser l’équilibre naturel.»
«Ce serait un enrichissement pour la biodiversité», plaide pour sa part François Moutou, expert associé du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et ancien président de la Société française d’études et de protection des mammifères. Et pour ce vétérinaire à le retraite, même si le chacal a bénéficié de l’affaiblissement des populations de loup, les trois espèces européennes de canidés sauvages sont tout à fait capables de coexister. Reste la question du statut à donner à cette nouvelle espèce en France. «Une chose est sûre, il faudra lui en donner un : celui de gibier chassable, d’espèce susceptible d’occasionner des dégâts [les soi-disant nuisibles, ndlr] comme le renard, ou d’espèce protégée comme le loup», précise François Moutou.
Protégé en Allemagne, chassable en Croatie
En 2016, la Commission européenne a d’ailleurs considéré qu’en l’état des connaissances scientifiques actuelles, le canis aureus ne pouvait pas être traité comme une espèce exotique envahissante, obligeant les Etats membres où l’animal s’est installé à maintenir un bon état de conservation de l’espèce en vertu de son inscription en 1992 à l’Annexe V de la directive Habitats-Faune-Flore. Néanmoins, dans les 19 pays de l’Union européenne où il est présent, précisait en décembre la Société française d’études et de protection des mammifères dans son bulletin bimestriel, le chacal doré bénéficie d’un degré de protection très varié, d’espèce chassable en Croatie à espèce protégée en Allemagne.
http://www.liberation.fr/france/2018/04/04/le-chacal-dore-une-nouvelle-espece-en-territoire-francais_1640696
Antoine Nochy, récit 270 p., Ed. Arthaud
« La première fois que j’ai vu des loups, c’était en Cévennes, en 2004, à quatre kilomètres à pied du village dont est originaire ma famille. J’ai compris à cet instant que nous avions une meute. J’ai voulu en parler, ça n’était pas le moment. Les visages se fermaient, les sourcils se dressaient. Des loups ! Pensez donc ! Les années sont passées. Et puis d’un coup, plus de sangliers ou de chevreuils là où on les attendait d’habitude à la battue, des troupeaux fébriles, des traces en losange, des chiens qui disparaissaient, quelque chose dans le pays avait bel et bien changé. »
Dans les Cévennes où il vit, à une centaine de kilomètres du Gévaudan, sur les terres qui ont inspiré La Chèvre de monsieur Seguin, au royaume de cette bête dont on disait autrefois qu’elle mange le monde, Antoine Nochy a traqué le loup pendant plusieurs mois. Il a arpenté les sentiers, les berges, les drailles à la recherche de signes et de traces et a écouté parler les hommes. Le loup, ce prédateur dont l’éradication fut pour les Européens un des premiers critères de la modernité, est de retour. Saurons-nous cohabiter avec le sauvage ? Lui apprendre des limites et lui faire respecter les activités des humains, avec qui il doit, lui aussi, partager son territoire et ses usages ?
Antoine Nochy, philosophe, écologue, spécialiste de la cohabitation avec les animaux sauvages, a été formé à l’étude et à la gestion du loup par les scientifiques du parc national de Yellowstone. De 2000 à 2004, il a accompagné les équipes scientifiques en charge de la réintroduction du loup gris et du rétablissement de ses populations dans trois Etats américains des Northern Rocky Mountains (Wyoming, Montana et Idaho)
Pour la première fois, une étude réalisée pour le compte de l’Association Houmbaba dévoile les limites du dispositif français de suivi et de gestion du loup. Des solutions existent pour cohabiter avec une population désormais viable. Elles ne sont pas appliquées en France. Commençons par mettre en place des rapports d’enquête scientifique et de gestion par la capture non létale pour réduire les dommages et limiter les conflits.
Depuis le retour officiel du loup en 1992, c’est un discours de peur, de mort et de désespoir qui s’est installé dans la société, obligeant l’opinion publique à se positionner en permanence pour ou contre la souffrance des éleveurs. L’incapacité des autorités à les protéger, à limiter les dommages et à réduire les conflits avec l’élevage en neutralisant les « loups à problèmes », génère toujours plus de conflit permanent, de défiance, d’exaspération, de désespoir et de colère.
Avec 9 000 déprédations (« loup non exclu ») en 2015 pour 116-142 loups et 30 meutes, 12 000 en 2017 avec 154-217 loups et 44 meutes, combien avec 500, 1 000 ou 2 000 loups ?
La résonance politique et l’exigence scientifique de l’espèce interrogent l’échec, l’inefficacité et la responsabilité du dispositif français de suivi scientifique et de gestion en place depuis 2003, comme ceux des autorités.
Pour la première fois, l’analyse comparée des dispositifs de surveillance et des conditions du rétablissement de trois populations de loups (dans les Northern Nocky Mountain aux USA, en Allemagne et en France) de 1994 à 2015, réalisée par l’Association Houmbaba, révèle les raisons de l’incapacité du principal outil (déjà 3 plans national loup) de la politique des gouvernements successifs à évaluer la réalité de la présence, du mode de vie de l’espèce, à prévenir les conflits et à contrôler les situations générées par les individus (ou les meutes) responsables des attaques récurrentes. L’évidence commande d’interroger cet outil, d’expérimenter et d’en changer.
L’association Houmbaba propose un résumé en 20 points de cette étude avec cinq préconisations majeures. Parmi elles, les auteurs proposent de compléter le dispositif de primo détection de présence de l’espèce, de limiter le contrôle létal des loups aux individus responsables des conflits chroniques, tout en agissant sur leur comportement pour réduire drastiquement les conflits, et d’expérimenter l’usage de la capture non létale pour atteindre trois objectifs :
– Le « contrôle » ou la neutralisation des « loups à problèmes », responsables des attaques épisodiques pour éviter qu’elles ne deviennent chroniques ;
– L’acquisition des connaissances qui font cruellement défaut pour répondre aux besoins de la société ;
– Et la restauration de la capacité des autorités à protéger les éleveurs dans l’exercice de leur profession, condition de toute cohabitation supportable avec une population viable.
Le loup fonctionne dans des schémas d’autorisation que la culture et les usages humains lui imposent. Ceci dit, on ne sait pas capturer le loup ni même le détecter (à temps). Il faut donc commencer par apprendre qui est le loup en France et comment il fonctionne. Pour savoir lui faire peur, influencer son comportement et lui signifier des limites, pour lui faire respecter la vie et les usages des hommes avec qui il doit, lui aussi, partager son territoire et ses usages.
1 – Pour comprendre les causes de l’échec social, culturel et anthropologique de la cohabitation avec les « loups français » depuis 25 ans, l’étude examine les conditions du rétablissement de trois populations de loups (Canis lupus) sur la période 1994-2015 : dans les Northern Rocky Mountain (dans cinq Etats des USA), en Allemagne et en France.
2 – A travers l’évolution documentée de leur statut, de leur distribution, des dispositifs de surveillance et de gestion des populations sur une vingtaine d’années, l’étude éclaire les conditions nécessaires de toute cohabitation supportable et d’acceptabilité sociale, indispensables au rétablissement de populations viables de grands prédateurs dans des pays développés.
3 – Si les objectifs généraux des dispositifs de surveillance (monitoring et suivi) des meutes ‒ la principale unité démographique ‒ semblent assez proches de prime abord, ils différent fortement et singulièrement pour la France, en termes d’objectifs, de méthodes, de moyens et de connaissances d’une part, de choix des autorités et de résultats dans la gestion des interactions avec l’élevage d’autre part.
4 – Aux USA et en Allemagne, les dispositifs de monitoring sont conçus et adaptés selon les besoins pour appréhender au plus près la réalité biologique de l’animal, et apporter aux autorités les connaissances et les techniques nécessaires pour faire face à toutes les situations engendrées par la cohabitation avec une population de loups, et prioritairement à celles qui gênent la société : limiter les dommages et réduire les conflits au minimum, identifier et neutraliser les « animaux à problèmes », responsables des conflits épisodiques et éviter qu’ils ne deviennent chroniques.
5 – En France depuis 2003, le dispositif est organisé pour estimer et prédire « l’effectif total » de la population de loups par des techniques d’identification individuelle (CMR ‒ capture-marquage-recapture ‒ ou « suivi génétique non invasif » des excréments) associées à des instruments statistiques de modélisation et de simulation de la dynamique démographique. Il s’agit de disposer d’une « estimation précise » de la population et d’un dispositif « dans tous les cas suffisant pour déterminer les niveaux de prélèvement acceptables sans porter atteinte à l’état de conservation de la population ». Le suivi scientifique ignore la biologie, le comportement du prédateur et les interactions avec l’élevage. Aucun corpus technique de savoirs à la française n’existe pour y faire face, alors que l’ensemble des techniques de protection conçues comme complémentaires repose sur l’hypothèse (fausse) d’une prudence générale des loups vis-à-vis des humains.
6 – Aux USA, le dispositif produit une science lisible par les usagers qui vivent avec l’animal, et tournée vers eux, avec l’intelligence de ne pas se laisser submerger par la technologie, la modélisation et la statistique, et basée sur l’exactitude des phénomènes produits par l’animal : 1 904 loups (effectif minimum détecté), 316 meutes et 384 déprédations indemnisées en 2015.
7 – En Allemagne, l’acceptabilité sociale est aussi au rendez-vous en 2015, avec 32 meutes et 219 déprédations indemnisées en 2015 (pour 17 des 25 meutes reproductrices).
8 – En France, le dispositif scientifique, technique et politique n’apporte aucun début de réponse aux questions posées depuis 20 ans sur ce que serait une cohabitation supportable avec l’élevage : 116-142 loups (effectif minimum retenu), 30 meutes et 8 941 déprédations indemnisées en 2015 ; avec pour résultat le conflit permanent, la défiance, l’exaspération, le désespoir et la colère.
9 – L’échec de la cohabitation avec les « loups français » peut être compris comme notre incapacité à interpréter les crises récurrentes de nos confrontations avec le loup ‒ avec certains loups, certains troupeaux et en certains lieux ‒, à « communiquer » dans un code commun, donc nécessairement à entrer en relation (autrement que par un tir au hasard « non localisé dans l’espace et dans le temps ») avec l’animal qui attaque, et à élaborer des modes d’interactions adaptés, c’est-à-dire permettant de comprendre et d’agir sur le comportement du prédateur pour le forcer à renoncer.
10 – Le taux de dommages français en 2015, compris entre 8 et 13 têtes/1 000 ovins est 32 à 52 fois supérieur à celui observé aux USA (0,05 tête/1 000 bovins et 0,2 tête/1 000 ovins). Le ratio de dommages indemnisés est de 21,2 têtes de bétail/100 loups (0,21/loup) et 1,2 tête/meute aux USA (avec 1 904 loups et 314 meutes). En France, il s’élève à 7 000 têtes de bétail/100 loups (70/loup) et 298 têtes/meute (avec 116-142 loups et 30 meutes).
11 – La réponse apportée par tous les gouvernements aux conflits engendrés par certains loups avec l’élevage ovin est la même depuis 15 ans : les résultats montrent qu’elle est inadaptée et inefficace. Le dispositif scientifique de « contrôle létal par le nombre », adopté en 2003 et en vigueur depuis 2013 avec des campagnes d’abattage d’un pourcentage de loups chaque année (10 %, soit 36 à 40 loups), avec l’allégation sans fondement scientifique « de prévenir les dommages importants à l’élevage », est inadapté. Pour être efficace, il s’agirait d’être en mesure d’interagir, d’identifier, de suivre et de « contrôler » les « loups à problèmes », responsables des attaques pour éviter qu’elles ne deviennent chroniques. Ce que le dispositif scientifique français ne permet ni n’envisage de faire.
12 – Le renforcement seul des mesures de protection ne suffit pas. C’est la principale leçon de l’échec français en dépit des 16,6 millions d’euros affectés en 2015. La prédation est une interaction entre deux partis. Avec la protection efficace des cheptels, il y a obligation à devoir se confronter à l’animal, à interagir avec lui en situation d’attaque pour lui signifier des limites, la frontière d’un territoire ‒ celui de l’éleveur avec son troupeau ‒ qu’il ne devra plus franchir quand ces derniers s’y trouvent. De fait, les seuls dispositifs de prévention et de compensation des dommages existants, en plus d’être coûteux et insuffisants, encouragent un état permanent de conflits, et plongent les éleveurs dans la souffrance et l’incompréhension.
13 – Cela suppose de disposer d’un dispositif technique immédiat, systématique et réfléchi utilisant les femmes et les hommes sur place, les chiens et les tirs de défense ; si cela n’est pas suffisant, avec une équipe d’intervention mobilisable sur un simple coup de fil pour accompagner les éleveurs (car ce n’est pas leur métier), en situation avec des moyens adaptés pour interagir de manière agressive si besoin, de façon systématique et à chaque tentative d’attaque, pour obliger le prédateur à renoncer et à éviter les lieux par la suite.
14 – Il s’agit au moment de l’attaque de casser la persistance acquise de la vulnérabilité du système d’élevage et du mouton pour le prédateur, renforcée par chaque attaque réussie. C’est dans cette interaction prédateur/proie, complexe et violente, que réside la possibilité de la contrarier pour l’humain, en s’y confrontant, par une gradation agressive du stress et un risque de blessure auxquels le comportement du loup est très sensible pendant l’attaque (risque grave pour sa vulnérabilité de prédateur ‒ d’être blessé ou tué ‒ quand la proie a appris à résister). Ce que permet la capture non létale. Avec la télémétrie, c’est une technique à effet systémique en termes de connaissances et de capacités d’action en temps réel, ce dont la société a justement besoin pour protéger l’élevage.
15 – Par l’utilisation d’un piège homologué (type easy grap) et de la télémétrie (suivi de l’animal par collier géo-localisable), il s’agit de capturer au plus vite quand les loups sont présents, en situation d’attaque ou immédiatement après (parce qu’ils sont là), pour sortir du registre de l’émotion, de la colère, de l’échec ou de l’impuissance, et se situer dans celui de la raison, du droit et de l’action autorisée pour influencer le comportement de l’animal ou de la meute (générer un comportement d’évitement, contrôle non létal) ou le (la) neutraliser en cas de dommages chroniques et récurrents (contrôle létal). D’accompagner l’éleveur, de mettre fin à son intranquillité permanente, et d’être enfin, pour les autorités, en capacité de le protéger dans l’exercice de sa profession.
16 – Le contrôle létal par le tir devient alors possible, autorisé une fois l’animal rétif, responsable d’attaques ou à fortiori de dommages chroniques, identifié et suivi. Ce que permet le statut de l’espèce. Ce dispositif technique n’est toutefois pas envisagé dans le 4e PNLoup.
17 – La question n’est pas d’être pour ou contre le loup, de le tuer ou de l’éradiquer, mais de se défendre, et d’être en capacité d’agir pour contrôler les situations que l’animal qui entre en conflit avec l’élevage impose et qui gênent la société. La cohabitation avec une population viable de loups n’est possible que lorsque les doutes des éleveurs sur la capacité des autorités à les protéger, à « contrôler » au quotidien les situations dangereuses ‒ pour les biens, le bien-être au travail et les entreprises ‒ qu’elle peut produire, auront été levés.
18 – Le terme « contrôle » désigne ici le processus de collecte d’informations sur l’identité, la place, la biologie et le comportement de l’animal, permise par la capture non létale, la discussion juridique sur la gradation de ce qu’il est possible de faire en fonction de la nature de l’interaction avec l’animal qui attaque, et l’attitude avec l’action technique en retour dont l’objectif est de rétablir la tranquillité de l’éleveur dans l’exercice de son activité. Il s’agit d’un contrôle des situations et en aucun cas de l’animal ou de l’espèce, le loup, par nature, restant une espèce incontrôlable, au comportement toutefois influençable.
19 – Vivre durablement avec une population rétablie de loups suppose de savoir changer les rapports avec la réalité violente, oppressante, désespérante, morbide et insupportable pour les éleveurs exposés, que cette population est susceptible d’imposer à la société, quand elle choisit d’entrer en conflit récurrent avec l’élevage. C’est la condition d’une cohabitation supportable. Pour cela une autre ambition scientifique est nécessaire. La réalité de la biologie et du comportement, l’intelligence et la force de l’espèce nous y obligent, là où la seule génétique et les modèles démographiques ne sont d’aucune utilité : régler d’abord les situations générées par les « animaux à problèmes », et mobiliser expertise, science et ingénierie écologique pour le faire.
20 – L’étude propose cinq préconisations majeures pour compléter ou revoir les dispositions du 4e Plan national loup en consultation jusqu’au 29 janvier 2018. En effet, « monitoring » et gestion devraient ramener le dispositif de surveillance français dans une exigence simple, celle des connaissances nécessaires pour agir efficacement dans les situations qui précisément gênent la société. Il y a obligation pour les autorités à y parvenir. Toutefois, l’expertise, les outils et les techniques requises ne figurent pas dans les expérimentations annoncées dans le plan. Dans la perspective de conservation d’une espèce difficile, il n’est pas possible de tenir ses engagements en laissant des discours, un vent de frayeur, le désespoir et la souffrance accompagner toute prise de décision. Toute situation doit absolument être réversible. Il est fondamental d’avoir les gens et les techniques pour produire un changement effectif d’une situation conflictuelle, et ainsi éviter qu’elle ne devienne chronique. Nous constatons que ce n’est toujours pas le cas, 25 ans après le retour officiel du loup en France.
Le « défi » français ne réside pas dans l’atteinte du seuil de 500 loups, l’espèce ni sensible ni fragile n’a pas besoin de nous pour y parvenir, mais d’apprendre à cohabiter avec une population désormais viable, et d’être capable d’affronter la normalité de la vie avec un grand prédateur.
On ne vit pas à côté du loup, mais on vit avec le loup. Quand comprendrons-nous qu’on ne peut « laisser le loup s’installer dans la bergerie » si l’on veut prétendre être capable de vivre avec. Contribuer à en faire un commensal de l’homme comme le dispositif français s’y emploie depuis 25 ans est non seulement une erreur, mais une faute grave et incompréhensible ‒ une folie même ‒ si l’on doit cohabiter durablement avec une espèce sauvage encouragée à générer toujours plus de conflits et de dommages, de souffrance et de désespoir dans la société. Le « chez soi » du loup n’a pas à occuper le « chez soi » des humains, ce qui n’interdit pas au loup d’avoir son « chez lui ». La clé pour les humains, c’est de ne pas laisser le loup… « sortir du bois ».
JJB, le 25/01/2018 © Association Houmbaba
Citation suggérée de l’étude :
Blanchon J.J. et Nochy A. 2017 : Statut, distribution et gestion des populations de loups (Canis lupus) : Analyse comparée de trois populations de 1994 à 2015, dans les Northern Rocky Mountain (USA), en Allemagne et en France. Standards de suivi et terminologie, résultats et interprétation, questions et préconisations sur les objectifs, les méthodes et le rétablissement du loup en France. 75 p. Pour le compte de l’Association Houmbaba : www.houmbaba.com
Partagez avec la société votre envie et votre joie de réussir à cohabiter avec les loups français…
Au lieu de ça, le même discours et la même politique que tous vos prédécesseurs depuis 20 ans,
Une injonction morbide, sans pensée ni vision…
Et sans solution pour le faire !
1- Le discours
Une communication politique loin des réalités de la vie avec, sans science ni conscience, sans raison ni rigueur… Une injonction morale, empreinte de religiosité, de souffrance, de mort et de tristesse. Pour relever ce qui nous est présenté comme un « défi de civilisation » : cohabiter avec la grande faune et vivre avec 500 loups d’ici la fin du quinquennat. Car ce n’est pas « négociable ». La belle affaire. Encore faudrait-il apprendre, savoir et mobiliser pour réussir à le faire.
Et rompre avec ce discours de désespoir, de souffrance et de mort qui accompagne le retour du loup depuis 25 ans en France ! « Aux éleveurs, je demande d’accepter d’en payer le prix (plus de 10 000 animaux tués et indemnisés en 2016 avec 190 loups –effectif moyen détecté– ou 360 –chiffre cité par le ministre, d’après modèle– et combien avec 500 loups bien vivants cette fois ?), et aux protecteurs de la nature, une « campagne d’abattage » de 40 loups/an, une simple vengeance aléatoire pour leur apprendre à vivre. N’ayez crainte puisque je vous le dis, la biodiversité c’est formidable, c’est notre « engagement ». Je vous demande juste de la supporter et de vivre avec, comme on demande aux pays africains de vivre avec leurs lions. »
Monsieur le ministre, la biodiversité, ce n’est pas ça, une injonction et votre triste discours. C’est la gastronomie, un art de vie à la française, des paysages naturels, le « chez soi des animaux », le sauvage, des vivants non humains dont on ignore les forces et les pouvoirs, et qui ne nous demandent pas notre avis, de l’inattendu et de l’impensé… D’abord une sensation et une émotion, une relation, une joie et une expérience qui valent d’être vécues. Pas ce dont vous nous parlez.
Cette triste réalité, c’est le résultat du dispositif de suivi et de gestion français du loup en vigueur depuis 2003, la politique de tous les gouvernements qui vous ont précédé et qui ont échoué. Vous nous proposez quoi pour en changer et partager avec la société l’envie et la joie enfin, de réussir à cohabiter avec les loups français ? Et comment fait-on pour vivre avec au quotidien ? Vous proposez quoi ? Je crains qu’une citation fût-elle de Gandhi n’y puisse suffire, pas plus que ce 4e plan qui se trompe de priorités. Vivre avec la biodiversité, c’est en faire quelque chose de positif, et d’abord pour les éleveurs. Ce sont eux qui sont « assignés » à vivre avec au quotidien.
2- Les deux objectifs et les principales dispositions du PNLoup (communiqué AFP)
« Le gouvernement se fixe un double objectif, le premier c’est d’assurer la viabilité, pour l’instant incertaine de l’espèce sur le territoire, c’est un objectif non négociable ».
« Le nombre actuel, 360, bientôt sans doute 400, est encore insuffisant, et nous visons au moins 500 avant la fin du quinquennat, conformément à nos engagements pour la biodiversité ».
« Le deuxième objectif, à parité avec le premier, est la protection des éleveurs et des troupeaux », a-t-il ajouté, évoquant une « priorité absolue » dans le « renforcement des mesures de protection ».
« S’agissant du nombre de tirs de prélèvements (abattages) de loups autorisés chaque année, il se base sur des préconisations scientifiques : qu’ils ne dépassent pas 10% de la population » (les 40 individus/an mentionnés par NH dans son intervention).
« On ne peut exiger des pays africains qu’ils protègent leurs lions si nous-mêmes en France, on n’est pas capable de cohabiter avec le loup et l’ours. C’est un défi de civilisation que se propose de relever ce plan ».
Les principales dispositions :
1- Former les éleveurs à conduire des chiens de protection.
2- Mieux comprendre le loup pour mieux protéger les troupeaux.
3- Des éleveurs indemnisés à la condition que les mesures de protection des troupeaux soient en place.
4- Une « campagne de tirs » calée sur l’année civile (1e janvier au 31 décembre au lieu du 1e juillet au 30 juin de l’année suivante).
3- Commentaires
La question n’est pas de satisfaire une vengeance aléatoire, sacrificielle, et de tuer au hasard 40 loups strictement protégés/an, au prétexte illusoire de « prévenir des dommages importants à l’élevage ». C’est une allégation mensongère, sans fondement scientifique, dans la mesure où pour être efficace, le tir doit viser l’animal responsable des attaques récurrentes. Ce que le dispositif français ne permet ni n’envisage de faire.
– La première réponse serait de ne pas laisser des loups apprendre à fonctionner sur les troupeaux domestiques. Le renforcement des mesures de protection ne suffit pas. C’est la principale leçon de l’échec français. La prédation est une interaction entre deux partis. Avec la protection des cheptels, il y a obligation à se confronter à l’animal, à interagir avec lui pour lui signifier des limites, la frontière d’un territoire –celui de l’éleveur avec son troupeau– qu’il ne devra plus franchir quand ces derniers s’y trouvent. Cela suppose de disposer d’un dispositif technique immédiat, systématique et réfléchi utilisant les hommes sur place, les chiens et les tirs de défense (situation de défense légitime) ; avec une équipe d’intervention mobilisable sur un simple coup de fil pour accompagner les éleveurs (car ce n’est pas leur métier) en situation avec des moyens adaptés pour interagir de manière agressive si besoin, de façon systématique et à chaque tentative d’attaque, pour obliger le prédateur à renoncer et à éviter les lieux par la suite.
Il s’agit au moment de l’attaque de casser la persistance acquise de la vulnérabilité du système d’élevage et du mouton pour le prédateur, renforcée par chaque attaque réussie. C’est dans cette interaction prédateur/proie complexe que réside la possibilité de la contrarier pour l’humain, en s’y confrontant, par une gradation agressive du stress et un risque de blessure auxquels le comportement du loup est très sensible pendant l’attaque (risque pour sa vulnérabilité de prédateur -être gravement blessé ou tué- quand la proie a appris à résister). Ce que permet la capture[1] non létale. Avec la télémétrie, c’est une technique à effet systémique en termes de connaissances et de capacités d’action en temps réel, ce dont la société a justement besoin pour protéger l’élevage.
Le contrôle létal par le tir devient alors possible, autorisé une fois l’animal rétif, responsable d’attaques ou à fortiori de dommages chroniques, identifié et suivi. Ce que permet le statut de l’espèce. Ce dispositif technique n’est toutefois pas envisagé dans ce 4e PNLoup.
– La « priorité absolue » vantée comme le deuxième objectif du gouvernement, s’apparente-t-elle juste à des mots dans un communiqué ? Aucun objectif, ni disposition, ni moyen n’est posé dans le plan pour répondre à la première demande des éleveurs : limiter les dommages, réduire les conflits, et restaurer la confiance dans les capacités des autorités à les protéger dans l’exercice de leur profession.
Une « priorité absolue », non ? S’il s’agit d’apprendre à cohabiter avec un grand prédateur protégé, le préalable est de ne pas accepter les individus qui gênent la société et d’être en mesure de contrôler les situations qu’ils imposent. Ce serait d’agir prioritairement sur cette réalité devenue insupportable (9 000 bêtes indemnisées en 2015 avec 116-142 loups et 30 meutes, plus de 10 000 en 2016…), pour réduire drastiquement ce nombre pour la rendre supportable, quand dans le même temps, le ministre annonce un « objectif non négociable » d’une population viable demain d’au moins 500 loups. Et d’en faire le premier objectif du plan. Il n’est pas conçu pour favoriser les conditions de vie du loup –l’espèce hautement adaptable, ni sensible ni fragile, n’en a pas besoin– mais prioritairement pour améliorer la cohabitation entre les loups et les humains en réduisant les conflits au minimum.
Sans la rigueur, la cohérence d’une robuste expertise scientifique et technique, un dispositif de suivi et de gestion adapté –ce plan est décidément très loin des standards internationaux requis pour cohabiter avec une population viable de loups– le discours du ministre sur la « cohabitation avec la grande faune » revient à une incantation morale et politique incompréhensible, une injonction contradictoire en forme de « double contrainte », une forme de pensée magique « schizophrénique et terrifiante à la fois » : la biodiversité, c’est formidable. Vous n’avez qu’à vivre avec, et supporter l’intranquillité permanente, la violence, le désespoir et la souffrance qu’elle génère ! C’est le tribut que la société doit payer pour atteindre « nos engagements pour la biodiversité ». C’est l’objectif que je nous assigne.
Comment imaginer dans ces conditions que l’accord et l’acceptabilité sociale soient un jour au rendez-vous ? Au lieu de miser sur les joies d’une réussite possible, là où tous les ministres et tous les gouvernements précédents ont échoué, en évitant que les conflits épisodiques avec l’élevage ne deviennent chroniques.
Vivre durablement avec une population rétablie de loups suppose de savoir changer les rapports avec la réalité violente, oppressante, désespérante, morbide et insupportable pour les éleveurs exposés, que cette population est susceptible d’imposer à la société, quand elle choisit d’entrer en conflit récurrent avec l’élevage. C’est la condition d’une cohabitation supportable et acceptable. Voici le véritable « défi de civilisation » auquel le PNLoup 2018, le quatrième du nom, est tenu. Et c’est votre responsabilité, Monsieur le ministre, de vous engager à réussir. Pour cela une autre ambition scientifique est nécessaire. La réalité de la biologie et du comportement, l’intelligence et la force de l’espèce vous y obligent : régler d’abord les situations générées par les animaux à problèmes qui gênent la société, et mobiliser expertise, science et ingénierie écologique pour le faire.
Dans la perspective de conservation d’une espèce difficile, il n’est pas possible de tenir ses engagements en laissant des discours et un vent de frayeur accompagner explicitement (ou pas) toute prise de décisions. On ne peut pas protéger une espèce face à une opinion indécise. La réalité du danger de relativiser les convocations de peur ancestrale, comme celle de la dévoration, conduit à mettre en péril les engagements de conservation d’un prédateur. Dès lors, toute situation doit absolument être réversible. Il est fondamental d’avoir les gens et les techniques pour agir sur un changement effectif d’une situation conflictuelle, et ainsi éviter qu’elle ne devienne chronique. Et depuis 25 ans, la France ne les a pas, le roi et les princes sont nus.
La peur du changement dans l’opinion publique rurale à propos de l’effort de conservation du loup est aussi importante à prendre en compte. Si le changement d’opinion des gens est nécessaire pour un retour durable du loup, l’on doit accepter un temps une forme d’indécision de l’opinion avec la persistance d’une image négative de l’animal, qu’elle soit avérée ou non. L’important, c’est de reconnaître qu’elle existe, le temps que les représentations négatives se transforment par une expérience supportable du vivre avec l’animal. C’est le préalable –et à ce titre ce devrait être la première priorité du plan– non « négociable » : restaurer la confiance des éleveurs dans les capacités des autorités à les protéger. Ne pas se tromper… Inverser les priorités, s’il est encore temps.
[1] Par l’utilisation du piégeage et de la télémétrie, il s’agit de capturer au plus vite quand les loups sont présents, en situation d’attaque ou immédiatement après, pour sortir du registre de l’émotion, de la colère, de l’échec ou de l’impuissance, et se situer dans celui de la raison, du droit et de l’action autorisée pour influencer le comportement de l’animal ou de la meute (générer un comportement d’évitement) ou le (la) neutraliser en cas de dommages chroniques ou récurrents. D’accompagner l’éleveur, de mettre fin à son intranquillité permanente, d’être enfin en capacité de le protéger dans l’exercice de sa profession.
JJB, le 10/01/2018, pour l’Association Houmbaba.
Du saumon, de l’abeille et du loup : petit traité d’ingénierie écologique
Antoine Nochy et Jean-Jacques Blanchon (Association Houmbaba)
Pour raconter une forêt, il faudrait d’abord écouter ce qu’elle a à nous dire. Car si les hommes sont maîtres de l’espace, les arbres sont les maîtres du temps. Face à la détérioration des milieux naturels, la forêt demeure notre principal thermostat climatique.
Notre histoire commence il y a 7 millions d’années, sans doute en Afrique de l’Est, quand notre lignée – préhumains – se sépare de celle des singes – prégorilles et préchimpanzés –, à partir d’un ancêtre commun. Nous venons des arbres. « Comme un petit primate, un mauvais grimpeur déjà bipède, qui grimpait le long des troncs ou passait de branche en branche en s’agrippant avec ses membres supérieurs », peut-on lire dans La Plus Belle Histoire de l’homme¹. La forêt garde une capacité à se réinventer, car les arbres fonctionnent dans l’éternité. C’est aussi à partir de la forêt que pourrait se réinventer l’humanité.
Réponse Houmbaba : Comme tout super prédateur, historiquement il est exact que le loup peut s’en prendre potentiellement à l’homme, lorsqu’il n’a plus rien à se mettre sous la dent ou dans des circonstances particulières. Dans un écosystème dégradé et très peuplé, comme ce fût le cas des Cévennes aux 18e et 19e siècles, des attaques sur la population se sont produites. Cela est avéré. Les Cévennes à l’époque abritent des loups, mais n’ont plus de forêt, pas de sanglier ni de cerf et de chevreuil.
Réponse Houmbaba : Les savoirs, les techniques et les standards internationaux d’étude, de suivi et de gestion du loup existent -depuis la date d’autorisation de l’utilisation de la capture scientifique avec le piège type « easy grap », testé en 2006 et qui a fait l’objet d’un dérogation d’utilisation pour la France en 2009- et ils n’ont pas été mis en place en France. Donc, si ça coûte cher, rien n’a été fait pour que ça coûte moins cher. Là est peut-être aussi l’objectif ou la raison cachée. Car si le loup coûte, il rapporte aussi beaucoup !
Réponse Houmbaba : Quel est l’état de référence déterminé par l’espace occupé par les milieux ouverts ? Le néolithique ? Le haut Moyen-âge, le 19e ou le début du 21e siècle ?
La diversité et la productivité végétales ont toujours dépendu de la diversité des ongulés sauvages. La densité des grands herbivores, et celle des prédateurs, résultent de la productivité végétale. Avant que dans les régions utilisées par l’homme depuis des siècles, les activités agricoles anciennes n’aient substitué les troupeaux domestiques aux grands herbivores sauvages.
Réponse Houmbaba : Les français consomment de moins en moins de mouton, c’est là une réalité. Toutefois, la France n’est autosuffisante qu’à 50% en viande ovine. Le parcours technique « extensif/intensif » produit un animal à un prix de vente qui, au cours du marché, ne permet généralement pas aux éleveurs de vivre. C’est aussi une autre réalité. Ceux qui s’en sortent sont ceux qui valorisent le mieux une production basée sur la qualité, la transformation, la reconnaissance et la transmission d’un savoir-faire. Une réflexion sur l’économie de la laine, le lait, la viande et le paysage reste donc toujours d’actualité.